Plébiscité durant les années Covid, le travail à domicile perd-il ou non de son attrait? Si certains employeurs et employés déchantent, il reste une valeur inaliénable pour la génération Z. Notre enquête à Genève.
«Quand je suis à la maison, il m’est difficile d’obtenir des informations utiles à la constitution d’un dossier. Les personnes que je sollicite et qui sont, elles, au bureau ne sont pas au garde à vous. Elles répondent à mes demandes plutôt en fin de journée. Je perds donc un temps précieux et j’ai toujours peur de ne pas être assez productive. Pour compenser, je me mets une pression d’enfer et je travaille davantage.» Tel est le constat que dresse Pauline, 38 ans, chargée de projets dans une agence de communication. Après une véritable explosion enregistrée durant les années Covid, le télétravail a-t-il perdu de son attrait? Des géants du Net et de la finance comme Zoom, Amazon, Google ou JP Morgan et récemment le groupe horloger Swatch, battent le rappel des troupes qui réintègrent dès lors leur bureau parfois même à temps plein.
Marco Taddei, responsable pour la Suisse romande de l’Union patronale suisse (UPS), n’est pas convaincu que le télétravail, aujourd’hui entré et ancré dans les mœurs, soit en péril. «A l’échelle suisse, 1 actif sur 3 y a recours occasionnellement ou régulièrement. En outre, les directeurs de ressources humaines affirment que la nouvelle génération place dans le top 3 de ses exigences, la possibilité de faire du home office avant même le montant de la rémunération. Elle renonce d’ailleurs à certains emplois qui ne prévoient pas cette flexibilité. Or, les entreprises ont besoin de ces talents, notamment et sans surprise dans les secteurs de l’informatique et de l’ingénierie.»
Il n’empêche, il semble que les adeptes du travail à domicile déchantent peu à peu. Même si la tendance n’est pas perceptible dans les statistiques. «Il est vrai que pour les micro-sociétés, organiser les tâches en fonction des jours de télétravail des employés est une gageure. Et puis, une partie des managers, qui ont effectué une large part de leur carrière en ayant leurs collaborateurs en présentiel, ont des difficultés à lâcher du lest. Ce d’autant que le gain en termes d’espace de travail n’est pas avéré. Soit parce que les employés ont besoin d’un espace de travail même à temps partiel soit parce que les petites surfaces disponibles ne sont pas pléthore.» Alors? La formule la plus efficace n’est-elle pas de limiter l’hybridation (bureau et maison) à la portion congrue? Certains leaders en sont persuadés. Ils ont d’ailleurs instauré dans leur règlement interne une limite à un jour.
Le particularisme genevois
Genève cultive deux particularismes, son tissu économique est principalement à vocation tertiaire (et donc compatible avec le home office) et le canton pioche en outre dans une importante main-d’œuvre frontalière. Deux paramètres qui font pencher la balance du côté du télétravail. D’ailleurs, avant le Covid, 5000 personnes franchissant la douane exerçaient en partie à domicile, en 2023, elles étaient plus de 50'000. Cet «exode ponctuel» a amené la Fédération des entreprises romandes (FER) à créer un pôle transfrontalier qui répond à toutes les questions en lien avec le travail à distance à l’étranger. Comme le précise Véronique Kämpfen, directrice de la communication: «Notre service juridique et conseils, spécialisé en droit du travail et des permis de travail, est aussi actif auprès des entrepreneurs».
Partisane d’un télétravail, qui a permis de contenir les effets de bord, la FER l’assure: «En formant davantage les managers à la délégation et à l’interaction dans ce cadre très particulier, le travail à distance peut être amélioré. Le contact avec les personnes travaillant à distance et leur intégration dans l’équipe doivent être équivalents à ceux des personnes sur place. Cela n’est pas toujours facile à réaliser et suppose de vraies compétences en la matière.»
Une réalité qui explique la réticence de certains patrons genevois à l’égard du travail à distance. Lequel a légèrement fléchi, passant de 40% avant le Covid à 37% aujourd’hui.
La tendance à la baisse va-t-elle se poursuivre? Selon la faîtière romande, il est probable que, pour rester concurrentielles auprès de leurs actuels et futurs collaborateurs, les entreprises vont devoir faire montre de souplesse et maintenir un accès au travail à la maison. Les autorités suivent, elles, le phénomène avec intérêt, quand bien même le télétravail n’est pas inscrit dans la loi et laisse ainsi le libre choix aux managers de l’appliquer ou non. La seule exception vise les frontaliers, et le respect d’un seuil, essentiellement pour des questions de sécurité sociale, de droit fiscal et de droit du travail.
Modèles d’affaires impactés
De son côté, la magistrate chargée de l’Economie, Delphine Bachmann, reste une inconditionnelle de la pratique. «Elle s’inscrit dans les grandes transformations du monde du travail que nous devons anticiper en tant que responsables politiques. Le télétravail a des conséquences très directes sur les modèles d’affaires des entreprises ainsi que sur la vie des employés. Pour les premières, il peut notamment se traduire par des économies sur les infrastructures en réduisant la nécessité de bureaux. Pour les seconds, il a une incidence sur la mobilité, en réduisant les déplacements. Enfin, il répond à une demande croissante des jeunes générations qui peuvent ainsi trouver un meilleur équilibre entre vie professionnelle et privée.» Reste, affirme encore la conseillère d’Etat, que le développement du télétravail pose des questions à approfondir. «La gestion à distance nécessite une adaptation des pratiques managériales et un investissement dans les outils numériques. Et puis, la protection des travailleurs en termes de sécurité et de santé doit être assurée.»