Même acquitté, vous ne toucherez quasiment pas un sou!

Rédigé par
Adélita Genoud
Société

JUSTICE • Comment les personnes innocentées sont-elles dédommagées? Le montant de la réparation est-il adapté au préjudice causé?

Simon Brandt, alors conseiller municipal, avait été accusé d’une double violation du secret de fonction, soit d’avoir transmis à la presse le rapport sur les notes de frais problématiques des magistrats de la Ville de Genève et d’avoir consulté indûment la main courante de la police cantonale.
Acquitté des faits reprochés après une longue saga judiciaire, le collaborateur du service d’analyse stratégique de l’institution policière avait dénoncé les conditions de son arrestation qui avait eu lieu en pleine campagne électorale. Menotté, contraint à une fouille corporelle, son domicile et celui de ses proches perquisitionnés et menacé par les policiers, il avait estimé que cette arrestation lui avait barré la route à l’élection au Conseil administratif de la Ville de Genève. Dès lors, l’homme politique avait réclamé un million de francs pour tort moral et dommages économiques, soit l’équivalent d’une législature de salaire de magistrat, en précisant qu’il reverserait cette somme à des associations œuvrant pour la défense des animaux.
Frais engagés pour la défense
Il avait obtenu 2000 francs pour la première atteinte et 651 francs pour la seconde, donc en deçà des lourds frais judiciaires engendrés pour sa défense. Cette affaire – réactivée par le récent jugement du Tribunal fédéral pose la question de l’indemnisation des justiciables. La haute Cour a reconnu que la fouille était disproportionnée et que les actes subis étaient constitutifs d’un abus objectif d’autorité et relevaient d’un traitement «inhumain et dégradant». Elle a classé toutefois la procédure visant le policier à l’origine de l’interpellation.
«Une avancée majeure»
Comme le détaille le professeur de droit pénal à l’Université de Genève, Yvan Jeanneret: «Elle recouvre trois segments à savoir les frais d’avocats qui sont calculés au tarif ordinaire et fixés entre 400 et 450 fr./heure (pour un avocat associé). La justice prend ensuite en compte le préjudice économique, par exemple pour une affaire relevant du droit pénal économique qui requiert la présence du prévenu plusieurs jours par semaine. Enfin, la personne qui a été blanchie bénéficie d’un montant pour tort moral, recouvrant la détention effectuée avant que le jugement ne soit rendu et qui peut atteindre 200 francs par jour d’incarcération. Il faut savoir que paradoxalement, plus la détention est longue moins la somme accordée est importante.»
A noter que la loi ne fixe ni montant minimum ni maximum, celui-ci est laissé à l’appréciation du juge qui tient compte des circonstances spécifiques de chaque cas. Mais elle s’applique d’office, autrement dit sans que la personne acquittée n’en fasse la demande.
Tous les cantons à la même enseigne
Dans le cas de Simon Brandt et pour l’opinion publique le dédommagement appliqué semble dérisoire au regard du traumatisme causé par l’arrestation musclée. Cependant, elle résulte d’une modification de la loi constituant, pour le professeur Jeanneret, «un pas de géant». «Avant les années nonante, il n’existait aucune disposition en la matière. Puis, elle est apparue dans certaines législations cantonales. A Genève, la somme versée ne pouvait pas excéder 10’000 francs. Depuis 2011, le traitement de l’indemnisation figure dans le code de procédure fédérale. Tous les cantons suisses sont ainsi logés à la même enseigne.
Pour rappel Genève avait amplement et exceptionnellement délié les cordons de sa bourse il y a quelques années. Acquitté en décembre 1998, l’homme d’affaires russe, Sergueï Mikhaïlov, prévenu de participation à une organisation criminelle, avait touché 800’000 francs d’indemnisation de l’Etat, après avoir effectué deux ans de prison. La somme, sans précédent dans les annales de la justice genevoise, prévoyait 600’000 francs pour perte de gain et 200’000 francs pour tort moral.
Octroi très restrictif
L’avocat et député PLR au Grand Conseil, Murat-Julian Alder explique pour sa part: «L’évaluation du dommage économique est sans nul doute le plus simple à chiffrer puisqu’elle va reposer sur des éléments concrets tels que le revenu, les charges et la fortune, mais aussi sur la perte de gain engendrée. Dans le cas du tort moral, les tribunaux suisses ne sont pas aussi généreux qu'aux Etats-Unis, bien au contraire.
Le problème ne se limite pas aux justiciables qui ont été blanchis par la justice, mais à la manière très restrictive dont sont accordées les réparations morales dans notre pays, que ce soit en faveur d'une victime qui a obtenu gain de cause ou d'un justiciable qui a été acquitté.n

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