Comment le «Falun Gong» tisse 
sa toile à Genève

Rédigé par
Tadeusz Roth
Genève

Quel est le lien entre des dizaines d’élus genevois soutenant un mouvement spirituel, un spectacle de danse traditionnelle chinoise qui s’exporte à travers le monde entier, ou encore plusieurs médias donnant la parole à des théories loufoques ou complotistes? La réponse tient en deux mots: «Falun Gong», une doctrine opprimée en Chine, devenue aujourd’hui un puissant groupe d’influence, orchestré depuis les Etats-Unis. 

Alors que plusieurs articles de presse et vidéos sur YouTube épinglent cette pratique et son fondateur depuis des années, le mouvement chinois continue de gagner du terrain à Genève, souvent à l’aide de moyens détournés. 
Dernier épisode en date évoqué dans la presse, une vidéo montrant le fraîchement élu conseiller d’Etat Vert Nicolas Walder. On voit le magistrat souhaiter «longue vie» au fondateur du Falun Gong – Li Hongzhi –, pourtant pointé pour ses postures homophobes, racistes et anti-science. Des positions critiquées par des organisations de défense des droits humains mais aussi par des chercheurs. Une rapide recherche sur le site Internet du mouvement permet de découvrir, en photo, des dizaines d’élus romands, notamment genevois, qui n’hésitent pas soutenir le Falun Gong. La quasi-totalité de la classe politique est représentée, des Verts au PLR, en passant par les socialistes ou encore le Centre et même le MCG. 
«Pas au courant»
Interrogés les  «sympathisants», prennent leur distance. Ainsi, Nicolas Walder, évoque un soutien «pas du tout inconditionnel» et affirme à nos confrères «ne pas avoir été au courant de ces informations». 
Du côté du MCG, on se montre plus explicite, à l’image du conseiller national Daniel Sormanni: «J’ai été approché par le mouvement. Après m’être renseigné sur le profil des membres et sur leurs pratiques, j’ai découvert la terrible persécution dont ils font l’objet en Chine. C’est un véritable massacre fait au nom de l’idéologie communiste. Aussi je soutiens les pratiquants du Falun Gong, qui doivent pouvoir être libres de leur pratique, mouvements et actions.» Concernant les dérives dont est accusé le mouvement, Daniel Sormanni dit être au courant, mais relativise. «D’après le Falun Gong, ces accusations sont fausses et ont été inventées par le gouvernement chinois pour les persécuter. Et c’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de preuves. C’est pourquoi je continue de soutenir leur combat pour les libertés qui est juste. Mais si des dérives étaient avérées, prouvées et étayées, je me retirerais immédiatement. Pour moi c’est la cause des droits humains qui compte.»
Même son de cloche à gauche, notamment pour le conseiller national socialiste Christian Dandrès, qui figure lui aussi sur le site Internet du mouvement. «Je n’ai jamais été proche des adhérents ni de leur pratique. Mon soutien se focalise exclusivement sur l’oppression dont ils sont victimes en Chine, qui est dramatique. Les adeptes de cette doctrine ont le droit d’exister et d’avoir leur croyance, sans qu’ils ne soient inquiétés pour cela», estime l’élu. 
Prise de distance
Pour le reste? Christian Dandrès affirme qu’il reste profondément athée et n’adhère en aucune façon à des pratiques ésotériques ou mystiques. «Je suis d’ailleurs au courant des accusations portées contre le mouvement, notamment en ce qui concerne le conspirationnisme. Mais cela ne rend pas moins ignoble la persécution dont le Falun Gong est victime. C’est pour dénoncer ces violences que j’ai régulièrement manifesté ma solidarité comme avec les Ouïghours.» Pourtant, le conseiller national appelle à surveiller de près l’évolution des idées autour du Falun Gong. «Si le mouvement ne respectait pas les droits fondamentaux de ses membres, il faudra s’en écarter», conclut-il.
Cependant, différents signalements pour dérives sectaires existent bel et bien, notamment en France, auprès de l’UNADFI (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victime de sectes). En Suisse le Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC) affirme de son côté avoir reçu plus de vingt demandes d’information sur le Falun gong ainsi qu’un témoignage préoccupant au sujet de ce groupe. «Le fait d'avoir reçu ce témoignage nous pousse à garder une posture vigilante», explique Yann Fanti, chargé du guichet d’information spécialisé. Cela dit, le Centre rappelle que l’organisation chinoise n’a fait, à ce jour, l’objet d’aucune condamnation en Suisse. Contactés par téléphone et par mail, les représentants du Falun Gong n’ont pas souhaité répondre à nos questions. 
Danse 
Parallèlement à son lobbyisme politique, le Falun Gong est également très actif sur le plan artistique, via ses spectacles de danse «Shen Yun».  Plusieurs dates sont d’ailleurs agendées à l’Arena de Genève au mois de janvier. Sur le site Internet de l’événement, il est indiqué que les artistes pratiquent le Falun Gong. «Sur scène, ils partagent leur histoire, faite de souffrances et de courage, que Pékin cherche à effacer.» 
Un spectacle haut en couleur et en mouvement, qui séduit autant qu’il fâche de nombreux spectateurs. Sur les sites de critiques, les avis négatifs sont nombreux: beaucoup dénoncent le côté politique, assimilant le mouvement à une secte. «La propagande m'a gâché le plaisir car ce n'était pas ce que j'achetais. C'était extrêmement immoral de leur part de faire ça en douce. Une brève mention de leur cause, je peux laisser passer, mais ils ont inséré trois performances entières de leur propagande», évoque un internaute.
20 minutes a d’ailleurs rapporté les propos d’un étudiant qui évoque les idées véhiculées: «Selon le Falun Gong, le communisme est financé par la vente d'organes d'êtres humains. Les gens se regardaient dans la salle et partaient peu à peu. On se sentait clairement arnaqués.» Le quotidien gratuit rappelle que le Shen Yun a d’ailleurs été créé et financé par des ressortissants chinois, exilés aux USA. Le quotidien cite le sociologue Olivier Fillieule, qui estime que les responsables de la programmation devraient mieux vérifier qui sont les réalisateurs d’une œuvre. D’après lui, le Falun Gong «c’est un peu la secte Moon et autres joyeusetés «décérébrantes». 
Médias
Enfin, le Falun Gong partage également ses positions via des médias, très suivis sur certains réseaux sociaux. Parmi eux, Epoch Times et NTD, suivis par des millions de personnes sur YouTube. Fondés par des pratiquants aux USA, les deux supports relayent les différentes exactions perpétrées par le parti communiste contre les minorités, dont les adeptes du Falun Gong.
Malgré tout, leurs lignes éditoriales sont accusées par certains d’avoir progressivement glissé vers le partage de fausses informations et de théories complotistes. Les thèmes des vidéos, très variés, vont des «forces occultes des élites» aux «sorties de corps», en passant par les OVNI et par la politique internationale. Le président américain Donald Trump y est régulièrement encensé. 
Contacté, NTD France défend sa ligne éditoriale et réfute un quelconque parti pris:«Nous pensons que le paysage médiatique passe sous silence les crimes du Parti communiste chinois – nous trouvons donc justifié de les révéler. Cela ne signifie pas être «anti» quoi que ce soit, car si les crimes n’existaient pas, ils n’auraient pas à être dénoncés». Sur les accusations de complotisme ou de proximité avec l’extrême droite, la chaîne estime, là aussi, qu’elles sont entièrement fausses. «Les valeurs de respect et de tolérance de NTD sont diamétralement opposées à l’intolérance associée à l’extrême droite. Le raccourci mental fait par certains est de penser que lorsque quelqu’un trouve du bon aux traditions, il est forcément conservateur et donc d’extrême droite», se défend le média.  Plus largement, NTD France, dont certaines vidéos sont réalisées à Genève,  rappelle sa liberté intellectuelle, indépendante du Falun Gong. «On ne peut pas parler de lien entre une activité médiatique et une pratique de méditation comme le Falun Gong. Si plusieurs de nos journalistes y souscrivent c’est à titre personnel.»

 

Falun Gong: une organisation opprimée 

Fondé en Chine 1992, le Falun Gong, ou Falun Dafa, allie méditation et exercices de souplesse. La doctrine invite également à un travail d’introspection, axé sur l’authenticité, la bonté et la tolérance. D’abord largement acceptée et même promue par le gouvernement chinois, sa popularité explose, au point de revendiquer près de 70 millions de pratiquants. Mais, parce que le mouvement refuse l’influence du gouvernement chinois, le parti communiste change d’avis sur le Falun Gong. Dès 1999, une féroce répression s’abat sur les pratiquants, avec de mauvais traitements, des tortures et même des prélèvements d’organes, largement documentés. Les autorités qualifient alors le Falun Dafa de culte «pervers», anti-science et incompatible avec les idées marxistes. 
Le fondateur de l’idéologie, Li Honghzi, s’exile aux Etats-Unis. Perçu comme un allié de la lutte contre le communisme, il reçoit un fort soutien, notamment via des prix, des créations d’associations ou des résolutions au Congrès. 
Pourtant, il est également épinglé par de nombreux médias internationaux pour des déclarations racistes, homophobes ou encore des propos apocalyptiques. Les différentes structures créées ou financées par le Falun Gong relaient aujourd’hui des idées conspirationnistes et des positions pro-Trump. 

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