
Malgré les nombreuses instances de contrôle, la vie privée de nos plus hauts élus au niveau cantonal semble passer à travers les mailles du filet, alors qu'ils occupent des fonctions très sensibles.
«Consommez-vous des films X? Etes-vous un libertin?» Voilà le type de questions qui peuvent être posées par la Confédération aux plus hauts gradés du pays, mais aussi aux ambassadeurs et aux hauts fonctionnaires. Des vérifications, semblables à un interrogatoire, menées par une équipe restreinte de profileurs, obligatoires lors de l’engagement et à reconduire tous les cinq ans. Avec des conséquences bien réelles: la presse a récemment relaté l’exemple de trois départs forcés pour des fonctionnaires romands, précisément en lien avec ces contrôles. Le cas de Mathias Tüscher, commandant à la division territoriale 1, avait fait grand bruit: la Chancellerie fédérale lui reprochait notamment son «manque d’intégrité», mais aussi sa «vulnérabilité au chantage».
De quoi s’interroger sur nos hauts fonctionnaires et nos élus locaux, susceptibles de détenir des secrets d’Etat: sont-ils, eux aussi, surveillés? Comment la Suisse – et Genève – s’assure par exemple que nos conseillers d’Etat ne s’exposent pas excessivement, par exemple au chantage? Ou qu’ils n’entachent pas l’image de Genève? Par le passé, plusieurs affaires d’ordre a priori privé ont pourtant déjà poussé à la démission certains élus. Les Genevois se souviennent d’ailleurs bien de l’affaire Mark Muller, contraint à la démission après des comportements problématiques dans une boîte de nuit. Ou encore celle de Pierre Maudet, lui aussi poussé vers la sortie après un voyage en famille.
Pour mieux comprendre, prenons un exemple fictif. Un conseiller d’Etat genevois aux pratiques sexuelles débridées se fait reconnaître avec sa femme par un maître chanteur. Son activité expose l’élu à de sérieux risques, que ce soit pour obtenir des informations sensibles, des faveurs ou de l’argent. Autre conséquence? C’est l’image du Conseil d’Etat tout entier qui pourrait être entachée, dans le cas où la rumeur se répandrait. C’est en partie pour éviter des situations de la sorte que Berne réalise ces contrôles de sécurité. Des vérifications qui, c’est la loi qui le dit, épargnent le plus souvent les politiques.
Magistrats épargnés?
«Les membres des autorités élus par le peuple ou les magistrats nommés par l’Assemblée fédérale ne sont en principe pas soumis à un CSP (contrôle de sécurité relatif aux personnes), même s’ils exercent souvent une activité sensible dans le cadre de leurs fonctions», rappelle d’ailleurs le Secrétariat d’État à la politique de sécurité. Qui précise que «l’exception est toutefois liée à la fonction et n’est donc que relative: par exemple, si un membre de l’Assemblée fédérale est astreint au service militaire et doit exercer à ce titre une activité sensible, il sera soumis à un CSP par rapport à ses fonctions militaires». Contactée, la Chancellerie fédérale confirme ne pas enquêter sur nos conseillers d’Etat.
C’est donc vers Genève qu’il faut se tourner pour tenter de trouver qui surveille nos ministres cantonaux. Parmi les institutions, la Cour des comptes est compétente pour contrôler l’administration cantonale, comprenant notamment les Départements. Interrogée, elle répond pourtant ne pas procéder à des contrôles liés à une vulnérabilité au chantage spécifiquement envers les conseillers d’Etat. «Nous n’avons pas de capacité légale pour contrôler directement le Conseil d’Etat. Et encore moins les membres du Conseil d’Etat», détaille Pierre-Henri Pingeon, nouveau président de l’institution.
Vie privée
Autre organe de contrôle, la commission de contrôle de gestion du Grand Conseil, chargée notamment d’examiner et de surveiller la gestion du Conseil d’Etat. Pourtant, ici aussi, la question de la vulnérabilité au chantage semble avoir été oubliée, comme en témoignent plusieurs membres joints par nos soins. Pourtant, certains d’entre eux expriment un intérêt non dissimulé pour nos questions, laissant entendre qu’il pourrait être judicieux de surveiller d’un peu plus près la vie privée de nos élus, lorsqu’il y va de l’intérêt des Genevois.
Mais alors, qui? La réponse nous est envoyée par Alberto Velasco, président du Grand Conseil. «En principe c’est la présidente du Conseil d’Etat qui est chargée de veiller et de sanctionner les membres de l’Exécutif dans le cadre de leur fonction», informe l’élu, qui précise que comme tous citoyens, nos ministres «doivent se soumettre au pouvoir judiciaire s’ils enfreignent nos lois, et le cas échéant ils seraient interpellés par le Grand Conseil s’ils venaient à abuser de leurs pouvoirs».
Mais ce n’est pas tout. «Le Grand Conseil pourrait également les démettre de leur fonction par un vote au parlement (au 2/3), et ensuite devant le peuple si leur action est à la mesure de la sanction!», ajoute le président.
Cadre juridique
Du côté de la Chancellerie d’Etat, on confirme rappeler aux membres du Conseil d’Etat, dès leur entrée en fonction, le cadre juridique qui régit leur activité, notamment en matière de domiciliation ou d’activité lucrative supplémentaire. Pourtant, leur image semble, ici aussi, échapper à tout contrôle. «Les membres du Conseil d'Etat (…) sont responsables de leur image et de leurs actes et ne sont pas soumis aux mêmes normes que le personnel de l'Etat.»
Mais la Chancellerie rappelle que des normes existent, citant notamment le règlement du Grand Conseil de la République et Canton de Genève (LRGC) et la constitution genevoise. Cette dernière prévoit d’ailleurs «que chaque membre du Conseil d'Etat peut être destitué par le biais d'une résolution adoptée par le Grand Conseil, lorsqu'en raison de son comportement, il n'est plus en mesure de bénéficier, auprès du corps électoral, d'une confiance suffisante pour exercer ses fonctions». Et ce n’est pas tout. De son côté, le Règlement pour l’organisation du Conseil d’Etat de la République et Canton de Genève (RCE), à son article 3, consacre le principe de la collégialité: «Le Conseil d’Etat assume ses responsabilités gouvernementales et prend ses décisions en tant qu'autorité collégiale». Le même règlement circonscrit le rôle de la présidence du gouvernement (chapitre III) et ne prévoit pas que la présidence puisse juger ou sanctionner un autre membre du collège», conclut la Chancellerie.