
Décryptage • La politique n’échappe pas aux écarts de conduite de celles et ceux qui l’incarnent. Le cas de la conseillère municipale verte, placée en détention provisoire – mais au bénéfice de la présomption d’innocence – dans le cadre du démantèlement d’un vaste trafic de drogue suscite de multiples questions. Quelles règles et principes prévalent en politique? Nous avons interrogé les présidents des grands partis genevois.
GHI: Si l’arrestation d’un candidat a lieu avant des élections, pensez-vous que le Ministère public doit informer le parti concerné?
Thomas Wenger, parti socialiste (PS): Oui si la loi le permet.
Aurélien Barakat, parti des Verts’libéraux (PVL): La sphère d’information est déjà définie par le droit. Il relève de la responsabilité du candidat d’informer le parti.
Maryam Yunus Ebener, parti Les Verts (VE): Il est important de rappeler que le Ministère public est une autorité indépendante qui doit garantir la présomption d'innocence et la confidentialité des enquêtes en cours. Toutefois, dans un souci de transparence et de bon fonctionnement des institutions, il pourrait être pertinent que les partis soient informés de manière appropriée lorsque l'un de leurs candidats est impliqué dans une affaire grave, sans pour autant compromettre le déroulement de l’instruction.
Pierre Nicollier (PLR): Non. Le Ministère public doit traiter tous les citoyens sur pied d’égalité, en particulier en l’absence de jugement. Cependant, le candidat devrait le communiquer à son parti. Dans le cas contraire, la rupture de confiance serait nette. Lors de certaines élections, un «code de conduite» permet de formaliser les règles de fonctionnement entre les candidats et le parti.
Lionel Dugerdil (UDC): Oui, le Ministère public devrait informer le parti concerné en cas d’arrestation d’un candidat avant des élections.
Philippe Rochetin, Le Centre: Nous défendons le principe fondamental de la séparation des pouvoirs et entendons que le Ministère public poursuive son action pénale sans avoir à en référer ni en informer les partis politiques.
François Baertschi (MCG): Si cette information donnée au parti ne perturbe pas l’enquête et s’il est légalement possible de la transmettre, il serait souhaitable que le parti du candidat soit informé.
Si le parti est informé en amont, ce dernier doit-il privilégier le principe de précaution (et demander le retrait d’une candidate) ou la présomption d’innocence?
PS: Le principe de la présomption d’innocence doit primer.
PVL: La présomption d’innocence prévaut. Chaque situation doit être appréciée au cas par cas selon la gravité des faits. Un parti peut toutefois demander le retrait d’un candidat afin de ne pas nuire à l’intérêt général du parti, surtout si l’infraction est grave.
VE: Les Verts genevois s’engagent à respecter la présomption d’innocence. Toutefois, nous appliquons également le principe de précaution afin de préserver l’image du parti et la confiance des électeurs. En cas de mise en examen pour une infraction grave, une discussion interne est initiée pour évaluer la situation et décider de la meilleure démarche à suivre, pouvant aller jusqu'à demander à la personne concernée de se mettre en retrait temporairement.
PLR: La réponse est nuancée. Cela dépendra du contexte et des charges. Le problème est moral. Un cas via sicura ne sera pas traité comme un commerce de drogue.
UDC: Un candidat ne peut pas se retirer tant qu’il n’est pas officiellement élu. Il peut toutefois se retirer jusqu’à six jours après le dépôt de la liste électorale.
Le Centre: Lorsqu’une personne publique fait l’objet d’une enquête ou d’une détention préventive, la présomption d’innocence doit être respectée. Un parti politique doit pouvoir demander le retrait d’un candidat lorsqu’il risque de jeter le discrédit sur l’institution ou la fonction à laquelle il aspire.
MCG: Il n’est plus possible de retirer une candidature à partir d’une certaine date. Avant, il est souhaitable de la retirer.
Un élu qui fait l’objet d’une procédure peut-il siéger?
PS: Oui tant qu’il est présumé innocent. Toutefois, la gravité des accusations et les faits objectifs à disposition pourraient fortement augmenter la pression politique pour une démission.
PVL: Là encore la présomption d’innocence prévaut. La justice ne doit pas être instrumentalisée à des fins politiques. Empêcher de siéger pourrait servir à cette fin.
VE: D'un point de vue légal, tant qu'une condamnation définitive n'est pas prononcée, un élu conserve son mandat. Toutefois, nous attendons de nos élus une attitude exemplaire et transparente. Si une procédure pèse sur la crédibilité du mandat, nous encourageons la personne concernée à se mettre en retrait temporairement, en concertation avec le parti.
PLR: La présomption d’innocence est très importante à nos yeux. La question est donc morale. Lorsqu’un individu est discrédité, il est difficile pour lui de porter des projets, de négocier… Selon les cas de figure (faux dans les titres ou excès de vitesse), la réponse sera adaptée et l’élu pourrait continuer à siéger, se mettre en retrait le temps de la procédure ou démissionner.
UDC: La possibilité pour un élu de siéger dépend de la gravité de l’accusation.
Le Centre: Toute personne est présumée innocente jusqu’à sa condamnation définitive. Un élu ne fait pas exception, il conserve ses droits civiques et politiques. Aucune loi n’impose le retrait d’un élu qui fait l’objet d’une procédure juridique.
MCG: Il devrait se retirer mais un parti politique ne peut pas l’y contraindre, ce que je déplore.
Un élu, exclu d’un parti, peut-il siéger en indépendant?
PS: Oui juridiquement il est élu en tant que personne. Politiquement il est élu sur une liste de parti donc le PS fait signer une charte à chaque candidat qui s’engage à démissionner de sa charge élective en cas de démission ou d’exclusion du PS. S’il refuse, il ne pourra siéger dans les commissions.
PVL: Oui, l’élu a été choisi par le peuple d’abord, même si c’est une liste partisane.
VE: Oui, un élu peut siéger en indépendant s'il est exclu de son parti. Toutefois, les Verts demandent à leurs élus de démissionner du Conseil municipal s'ils quittent le parti en cours de mandat, afin de respecter la volonté des électeurs qui ont voté pour une liste et non une personne seule. Cela est également stipulé dans la charte d’engagement interne à notre parti que chaque élu et chaque candidat signent. Après, la personne en question est libre de décider, en son âme et conscience, des choix qu’elle souhaite opérer et le parti ne peut pas obliger une personne à quitter son siège.
PLR: Oui. C’est la garantie de la liberté d’expression et de positionnement de nos élus. L’équilibre entre le parti et l’élu est important pour permettre à chacun de se forger l’opinion et de voter comme il le souhaite. La réponse serait différente dans la situation d’un élu démissionnaire qui rejoint un autre parti.
UDC: D’un point de vue légal, un élu peut siéger en tant qu’indépendant après avoir été exclu de son parti. Cependant, cela peut être perçu comme allant à l’encontre de la volonté des électeurs, qui l’ont choisi à la fois pour sa personne et pour l’étiquette politique qu’il représentait.
Le Centre: On élit une personne et pas un
parti. Ainsi un élu, même exclu de son groupe ou de son parti, peut siéger en tant
qu’indépendant sans rompre ce lien avec ses électeurs.
MCG: L’élu qui est exclu d’un parti et siège en indépendant n’est pas correct et trompe les électeurs. Le pire c’est un élu qui démissionne et siège en indépendant. C’est une véritable trahison et le MCG en a connu quelques-unes.
Une personne qui fait l’objet d’une condamnation peut-elle se présenter à des élections?
PS: Oui les électeurs et électrices ayant le dernier mot, toutefois la gravité des accusations et les faits objectifs à disposition pourraient fortement augmenter la pression politique pour ne pas se présenter.
PVL: La règle dans ce cas devrait s’inspirer de celle applicable aux magistrats et avocats. Autrement dit, l’élu ne peut siéger que si la condamnation n’est pas incompatible avec son mandat (une condamnation pour corruption par exemple).
VE: Juridiquement, rien n'interdit à une personne condamnée de se présenter, à moins qu’elle ne soit spécifiquement déchue de ses droits politiques. Toutefois, les Verts appliquent des critères d'éthique stricts et toute personne condamnée pour des faits graves serait désavouée par le parti et ne recevrait pas son soutien. Il en va aussi des valeurs promues par le parti.
PLR: Oui, si la transparence existe. Il est surprenant que ces informations publiques ne soient pas publiées dans les médias. Le peuple doit voter en toute connaissance de cause.
UDC: Cela dépend de la gravité de la condamnation.
Le Centre: Si un jugement impose également une sanction administrative comme la privation de droits politiques, cette personne ne pourra pas se présenter aux élections, mais ces cas demeurent extrêmement rares et ne concernent que des cas graves. Une condamnation pénale n’entraîne pas forcément une suppression des droits civiques l’idée étant que c’est aux électeurs et non à la justice de décider si une personne mérite d’être élue.
MCG: Légalement oui, mais elle ne le devrait pas sur un plan moral et éthique. Son parti devrait refuser sa candidature, en particulier s’il s’agit d’une affaire grave.
Un élu condamné peut-il poursuivre son mandat?
PS: Juridiquement oui, politiquement et là encore, la gravité des condamnations pourrait fortement amener à une démission.
PVL: Même réponse que pour la question précédente sauf si l’infraction est incompatible avec le mandat de l’élu.
VE: Si la condamnation est mineure et sans lien avec son mandat, il pourrait continuer à siéger. Cependant, en cas de condamnation pour des faits graves (corruption, violences, etc.), les Verts demanderaient à l'élu de démissionner, en cohérence avec nos engagements éthiques.
PLR: Cela dépend de la nature de sa condamnation. Il est problématique qu’un élu condamné pour faux dans les titres, fraude ou commerce de drogue puisse siéger. Les condamnations de voisinage ou de sécurité routière ne sont probablement pas un frein à une activité politique.
UDC:La poursuite d’un mandat par un élu condamné dépend de la gravité des faits.
Le Centre: Un élu condamné durant l’exercice de son mandat devrait prendre ses responsabilités et démissionner de sa propre initiative. Bien que rien ne lui impose légalement une telle décision, il rompt le lien de confiance avec la population et prend le risque de créer un chaos institutionnel.
MCG: En vertu de la loi oui, mais sur un plan moral et éthique, il ne devrait pas. Le parti politique ne peut pas l’en empêcher.
Quel contrôle les partis politiques exercent-ils sur leurs candidats aux élections?
PS: Les contrôles de base sont effectués en regard des moyens et des informations à disposition. Nous ne faisons pas d’«enquête» sur nos candidats.
PVL: Pas de règle absolue, un extrait de casier judiciaire ou une attestation de non-condamnation du candidat peuvent être demandés.
VE Les Verts imposent aux candidats une charte d'engagement stricte, incluant un devoir de transparence sur les antécédents judiciaires et les conflits d'intérêts. Nous encourageons également un climat de confiance et de responsabilité.
PLR: Nous demandons des extraits de poursuite, casier judiciaire et une attestation «à jour avec les impôts».
UDC:Pour les élections majeures: (Conseil administratif, Conseil national, Grand Conseil, Conseil des États), les partis exigent la remise d’un extrait du casier judiciaire et du registre des poursuites (datant de 3 mois). Pour les élections communales, il est demandé aux candidats une déclaration sur l’honneur, une reconnaissance de dette, ainsi que la signature du règlement interne du parti.
Le Centre: Certains mandats font d’ores et déjà l’objet de contrôles administratifs comme un casier judiciaire pour les candidats aux postes de juges. Nous avons pu constater encore récemment que ce n’était pas le cas pour se présenter au Conseil d’Etat. Le Centre demande toutefois que ses candidats et élus acceptent une charte de respect des valeurs et du programme du parti et nous nous basons sur la réputation, l’engagement antérieur et la probité du candidat avant de lui accorder notre soutien.
MCG: En mettant en place des procédures avant l’élection. Notre commission d’examen des candidatures a demandé des extraits de casiers judiciaires et extraits de poursuites ainsi qu’un examen de candidatures.
Quelle leçon les partis politiques doivent tirer de l’affaire?
PS: La grande majorité des élus est intègre mais comme dans tous les domaines de la société il y a malheureusement quelques brebis galeuses.
PVL: Il faut être réaliste, les partis n’ont pas les moyens d’enquêter sur leurs candidats sauf cas évident. Mais de manière générale, la probité devrait être plus strictement exigée comme c’est le cas dans les pays nordiques où des élus sont amenés à démissionner même pour des affaires mineures.
VE: Cette affaire nous rappelle l'importance d'une sélection rigoureuse des candidats et d'une plus grande transparence dans la vie politique. Pour notre part, chaque candidat s’engage par le biais de la signature d’une charte. Nous sommes favorables à des règles plus strictes et à une vérification approfondie des profils avant toute investiture. Après il faut être conscient que le zéro risque n’existe pas.
PLR: La transparence est le meilleur des désinfectants . Cela renforce également l’importance du «code de conduite» et des documents demandés par les partis aux candidats pour les intégrer dans leurs listes.
UDC:Il n’est pas approprié de tirer des leçons générales à partir du comportement d’une seule personne. En l’occurrence, les Verts ne pouvaient pas anticiper la situation et ne peuvent être tenus responsables des actes individuels de cette personne.
Le Centre: Le canton n’est pas dans une situation de corruption généralisée touchant la classe politique. Nous parlons, à Genève, de cas particulièrement rares mais très médiatisés qui jettent une ombre sur des élus de milice qui font vivre nos institutions démocratiques et dont l’engagement pour la collectivité doit aussi être salué. En effet, il se fait souvent au détriment de leur vie professionnelle, personnelle et familiale.
MCG: L’événement qui s’est produit au Grand-Saconnex est plutôt rare. Cela doit conduire les partis politiques à être plus vigilants dans le choix des candidatures.
Pensez-vous que l’accumulation d’affaires émaillant les partis peut entrer en ligne de compte dans le faible taux de participation de la population aux élections voire la détourner de la politique?
PS: Non, dans une démocratie les femmes et hommes politiques sont le reflet de la société, le faible taux de participation s’explique par une multitude de facteurs.
PVL: Bien entendu que cela joue un rôle. Cela étant, la politique genevoise n’est pas secouée par des affaires comme la politique française. Le faible taux de participation est multifactoriel, mais la mésentente des Partis politique, l’absence de compromis et les blocages pèsent probablement plus lourd dans l’abstention. Il est cependant important de ne pas laisser ces affaires prendre de l’ampleur et pour les partis d’avoir des réactions très fermes vis-à-vis de personnes condamnées (et non simplement accusées).
VE: Oui, chaque scandale politique contribue à alimenter la méfiance des citoyens envers leurs représentants. C'est pourquoi nous militons pour une politique intègre et transparente. Nous devons renforcer la confiance des électeurs en démontrant que la politique peut être un espace d'engagement sincère et dédié au bien commun. Nous ne pouvons que regretter que des actions individuelles sur lesquelles le parti n’a aucune emprise entachent la réputation de celui-ci.
PLR: Le comportement des élus, qui doit être exemplaire, est un problème pour la crédibilité des institutions. La médiatisation encourage les coups de communication au détriment du travail de fond. Cela pousse à des positions et décisions peu rationnelles qui sont sans aucun doute un autre frein à la participation. A noter, que 80% de la population vote, mais la plupart votent de temps en temps.
UDC: Le taux de participation électorale est resté relativement stable au fil des années. Il n’est donc pas possible d’établir un lien direct entre les affaires impliquant certains partis et le désintérêt politique ou l’abstention de la population.
Le Centre: Nous contestons l’affirmation selon laquelle notre canton connaît une «accumulation d’affaires» mais il faut reconnaître que ces événements donnent lieu à de graves accusations à l’encontre de la classe politique tout entière. Ce biais joue certainement sur la désaffection des citoyens envers leur démocratie. Mais les quelques histoires qui défrayent la chronique cachent trop souvent l’action de 500 élus genevois qui donnent leur temps et leur énergie pour que les institutions fonctionnent. La baisse de la participation en résulte en partie. Mais cela ne l’explique pas entièrement: l’individualisation de la société et l’affaiblissement de l’éducation citoyenne dans notre système éducatif participent de ce phénomène de façon bien plus profonde et puissante.
MCG: Il est certain que ces affaires détournent l’électeur de la politique et l’opinion publique des questions essentielles, ce qui est regrettable. Quelle ligne politique doit être menée pour la population? Quelles décisions importantes qui concernent la vie quotidienne des habitants seront prises? Ces affaires parasitent dangereusement le bon fonctionnement de notre société en créant des doutes sur des questions qui n’ont rien à faire avec la vie publique.
Hospitalisée, la présidente de Libertés et justice sociale (LJS), Florence Florenza-Decurtins n’a pas pu répondre à nos sollicitations.