Drogues: pourquoi 
rien ne bouge à Genève?

Rédigé par
Tadeusz Roth
Genève

Malgré la volonté politique affichée de lutter contre le fléau des stupéfiants, le crack gangrène toujours Genève.  Dans certains lieux, riverains et commerçants n’en peuvent plus et tirent la sonnette d’alarme.  

«Rien ne change. Depuis l’arrivée du crack, je vois toujours plus de drogués. C’est un triste spectacle pour les enfants du quartier et ça nous pourrit la vie», désespère un habitant des Grottes. «Certains qui mendient sont agressifs, ça fait fuir les clients. Et puis, les lieux sont de plus en plus sales. Que fait l’Etat?», abonde un commerçant des Pâquis, témoin quotidiennement d’échanges de substances à proximité de son magasin et d’une école.
Dans le canton de Vaud, une pétition (Le deal de rue….ça suffit!) a même été lancée par un mouvement citoyens pour demander aux autorités davantage de résultats en matière de lutte contre le trafic.
Quatre piliers
Et pourtant, à Genève, une véritable politique est menée par nos autorités, à l’image de l’approche en quatre piliers, défendue par le Conseil d’Etat (prévention, thérapie, réduction des risques et répression). Comment expliquer que les drogues continuent à se répandre comme une traînée de poudre? Nous avons interrogé les sept présidents des partis représentés au Grand Conseil.  «Notre position est la même que celle initiée par l’ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss, à savoir celle des quatre piliers. A ce titre, la politique transversale déployée par le Conseil d’Etat, en ne se limitant pas à la simple répression, va exactement dans ce sens et permet d’obtenir des résultats», précise Thomas Wenger, président de la section genevoise du PS. Mais où sont ces résultats? «Cela est complexe et prend du temps. C’est pour cela que nous nous sommes battus pour allouer des ressources au plan crack.» Thomas Wenger cite l’exemple de Zürich: «Les autorités ont mis en place un accompagnement socio-sanitaire. Une partie de la consommation se passe dans des structures en appartements». A ce titre, le PS se dit en faveur d’un déplacement du Quai 9 dans un endroit plus approprié, pour autant qu’il reste dans un lieu central.
Lenteur de la mise en œuvre 
«Les Verts ont été parmi les premiers à interpeller le Conseil d'Etat. Nous jugions important de relancer la politique des 4 piliers. Une majorité du Grand Conseil a même décidé de lui ajouter un cinquième pilier à savoir l'accompagnement social. Un plan crack de 6 millions de francs a été adopté par le Grand Conseil, mais il peine à se déployer. Nous regrettons la lenteur de la mise en œuvre du dispositif», assure Maryam Yunus Ebener, présidente des Verts genevois. Pour son parti, il s’agit non seulement de renforcer l’ensemble des piliers, mais aussi chercher de nouvelles manières de répondre à ce fléau. «Ce qui n'a pas fonctionné, il y a 30 ans – à savoir le tout répressif – n'a pas plus de chance de fonctionner aujourd'hui. Miser uniquement sur la prévention ne réglerait pas non plus le problème actuel. C'est bien l'ensemble des piliers qu'il faut renforcer. Et puis, il ne faut pas se focaliser uniquement sur les dealers, mais combattre également les filières en amont. L’augmentation des dealers visibles n’est que la partie émergée de l’iceberg», rappelle-t-elle. 
Répression
De l’autre côté de l’échiquier politique, la position de l’UDC tranche avec celle de ses adversaires. «C’est un fléau à éradiquer d’urgence! Il faut absolument renforcer les moyens policiers sur le terrain et l’arsenal judiciaire», résume Lionel Dugerdil, président de la section genevoise du parti agrarien. Pour l’élu: «Davantage d’agents, sont nécessaires et on doit les laisser travailler. Il n’est pas normal de voir des dealers ressortir rapidement après leur arrestation alors qu’ils pourrissent la vie des habitants.» Lionel Dugerdil estime d’ailleurs que le Ministère public devrait être plus offensif. «Peut-être que s’il prenait ce problème à bras-le-corps, plutôt que de poursuivre des policiers pour excès de vitesse pendant leur travail, la situation s’améliorerait.». Pour lui, il y a un risque à ce que Genève devienne une ville ou les dealers font la loi, comme on le voit en France ou aux Etats-Unis».   
Un tour de vis également souhaité par le Mouvement citoyens genevois (MCG), qui demande lui aussi davantage d’actions contre le deal. «Nous estimons qu’il fallait faire un effort beaucoup plus grand, notamment sur le terrain avec des agents supplémentaires et des sanctions plus lourdes contre les dealers. Sans oublier le volet social et sanitaire», détaille le président du parti, François Baertschi. Mais ce n’est pas tout. Pour le MCG, de nombreuses formations politiques seraient dans le double discours, ce qui expliquerait l’absence de changement. «La gauche et la droite font des promesses. Mais quand il faut soutenir des actes il n’y a plus personne», déplore l’élu. 
"Idéologique"
Par ailleurs, le MCG dit partager les préoccupations des commerçants et des habitants concernés par la présence des usagers du Quai 9. «Ce lieu draine du monde, notamment en provenance de l’autre côté de la frontière, puisque la France est plus restrictive en matière de drogue. Résultat: un appel d’air, alors que ce n’est pas la vocation de Genève!» Concernant les propositions de légalisation régulièrement demandée par des acteurs, le président n’y croit pas. «C’est purement idéologique. Je pense que ces personnes n’ont jamais vu de fumeurs de crack et l’impact qu’ils ont sur un quartier. Je m’étonne qu’on puisse encore faire de telles propositions face à une situation si grave», conclut François Baertschi.
Un canton attractif?
Le PLR, qui défend lui aussi l’approche en 4 piliers, prête une attention particulière à l’impact de la drogue sur les quartiers. Si une légalisation des drogues a beaucoup été défendue par les jeunes PLR, la section cantonale ne partage pas ce point de vue: «Certaines substances peuvent être encadrées, mais ce n’est pas le cas du crack, qui vient de faire son apparition. Nous devons donc nous assurer que Genève ne soit pas considéré comme un endroit attractif pour cette drogue. Cela génère une criminalité, notamment des vols et des agressions, qu’il est impératif de sanctionner», affirme Pierre Nicollier, président de la section cantonale. Pour les résultats, l’élu rappelle que la formation de nouveaux policiers prend du temps. «Il faut environ deux ans pour qu’ils soient prêts. Les ressources ont déjà été octroyées. En attendant, il est important d’agir là où on le peut, par exemple en fermant les cours d’école si nécessaire, ou en déplaçant le Quai 9.»
En dehors de ce clivage habituel, qu’en pensent les partis du centre? «Il faut entendre le mécontentement. Nous ne pouvons pas rester insensibles au désarroi ambiant. Effectivement, la politique actuellement menée prend du temps à se déployer, mais il faut tenir bon. Et intervenir là où c’est possible», analyse Philippe Rochetin, président du Centre Genève, également favorable à un déplacement du Quai 9. Pour lui, la stratégie plurielle de l’Etat reste la bonne: «Il faut de la répression, pour éviter de banaliser le problème. On ne soigne pas une maladie en la laissant s’exprimer. Mais l’approche socio-sanitaire est aussi centrale.» Enfin, Philippe Rochetin se dit en faveur de davantage de moyens d’accompagnement pour aider à sortir des addictions. «Pourquoi ne pas mettre en place des structures médicalisées pour favoriser la désintoxication?»
Perte de contrôle
Enfin du côté de Libertés et justice sociale (LJS), on redoute une perte de contrôle. «Nous sommes en particulier sensibles à la détérioration de l’environnement immédiat, des habitants et commerçants, du quartier, des Grottes et de celui des Pâquis», détaille la présidente, Florence Florenza Decurtins. D’après la formation, Genève serait arrivé «au bout» de la politique des quatre piliers. Pour faire face, le parti confie d’ailleurs plancher sur de nouvelles pistes.  «Le phénomène du crack pousse en effet dans ses derniers retranchements l’articulation entre la répression et la prévention. C’est plus une question d’équilibre entre ces quatre piliers qu’une question de prise en charge des consommateurs qui sont des toxicomanes plutôt que des délinquants», conclut-elle.

 

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