
Biodiversité • Depuis des décennies, autorités et scientifiques surveillent le Léman comme le lait sur le feu. Leur objectif? S’assurer de son bon état de santé, au prix d’un travail considérable consenti par une multitude d’acteurs.
Plus grand lac d’Europe de l’Ouest, le Léman occupe une place centrale pour les habitants de la région. Gagne-pain pour les pêcheurs, voie navigable pour de nombreux travailleurs (notamment frontaliers) ou encore source d’énergie pour chauffer et refroidir nos bâtiments (hydrothermie), les usages sont multiples. Sans compter que notre région devient une gigantesque station balnéaire avec les aménagements de nouvelles plages et de lieux de baignades qui ont fleuri ces dernières années. Mais ce n’est pas tout:pour s’assurer du bon état de santé du lac, il faut ajouter à cette myriade d’activités le travail de nombreux scientifiques, qui analysent le Léman sous toutes ses coutures.
Contrôles réguliers
C’est notamment le cas des autorités cantonales genevoise et vaudoise, qui veillent au grain. Du côté de Genève, c’est l’Office cantonal de l’eau (OCeau) qui est à la manœuvre, sous la houlette du Département du territoire, aux côtés de la CIPEL (Commission internationale pour la protection des eaux du Léman). C’est notamment lui qui est chargé d’évaluer l’état chimique et écologique du Léman. Pour cela, des contrôles réguliers sont effectués, essentiellement aux abords des plages, entre mi-avril et fin septembre. «Les prélèvements ont lieu toutes les trois à quatre semaines, et plus souvent si un problème est détecté. (…) La qualité de l’eau de baignade est globalement bonne à excellente dans le Léman. Elle s’est fortement améliorée depuis une trentaine d’années. Des pollutions ponctuelles demeurent toutefois possibles», informe l’office.
Des pollutions qui – malheureusement – ne se voient pas toujours à l’œil nu. «Pour vérifier la qualité de l’eau et s’assurer qu’elle est propre pour la baignade, on mesure la présence de bactéries. Deux types de bactéries sont recherchés dans les eaux de baignade: les entérocoques et les Escherichia coli. Elles sont utilisées comme signal d’une eau impropre à la baignade».
La CIPEL en première ligne
Du côté du Canton de Vaud, la direction générale de l’environnement renvoie directement vers la CIPEL. «Il s’agit de l’une des quatre missions dont elle a la responsabilité. En ce sens, elle effectue les études nécessaires pour mieux connaître le fonctionnement des milieux aquatiques et pour déterminer la nature, l’importance et l’origine des pollutions», précisent les autorités.
Contactée, la commission rappelle que depuis 1959, elle suit avec attention l’état de santé du lac, et ce grâce à un programme scientifique. «Chaque année, environ 21 campagnes de mesures sont menées, au point SHL2 , le point le plus profond du lac (309 m), situé entre Lausanne et Thonon-les-Bains. Ce suivi à long terme permet d’identifier les pollutions et les défis d’une manière précoce. Le Léman est un des lacs qui a une base de données les plus importantes du monde et sert comme modèle pour des scientifiques, afin de mieux comprendre le fonctionnement d’un écosystème lacustre, qui est très complexe», ajoute la Dre Nicole Gallina, Secrétaire générale.
Parmi les éléments mesurés: les températures, la présence d’éléments chimiques (phosphore, nitrates…), mais aussi un suivi biologique (phytoplancton, reproduction des poissons) ou encore des micropolluants. «Plus de 200 substances sont analysées, incluant pesticides, résidus médicamenteux, métaux lourds, microplastiques et PFAS. Depuis 2017, les microplastiques sont recherchés dans l’eau, les sédiments, les organismes aquatiques et même sur les plages». Parallèlement, des études ciblées sont également menées chaque année par la CIPEL, notamment pour répondre à de nouveaux enjeux, comme les PFAS ou les effets du changement climatique. Et ensuite?
«Les données sont analysées par les experts de la CIPEL, son Conseil scientifique et des partenaires universitaires, en collaboration avec les laboratoires cantonaux. Les résultats sont publiés chaque année, notamment via un tableau de bord des indicateurs et un rapport scientifique», détaille la Secrétaire générale.
LéXPLORE
Mais les instances étatiques et institutionnelles ne sont pas les seules à analyser le Léman. Depuis 2019 et jusqu’en 2026, le lac accueille également, au large de Pully, une plateforme expérimentale de plus de 100m2, à l’initiative des Universités de Genève et de Lausanne, mais aussi de l’EPFL et de l’Eawag, l'Institut fédéral des sciences et technologies aquatiques.
Concrètement, il s’agit d’un ponton équipé d’une instrumentation de haute technologie, conçu pour fournir des mesures en continu, jour et nuit et par toutes conditions météorologiques. Comment cela fonctionne? «Les chercheurs de ces institutions peuvent utiliser LéXPLORE pour leurs études. En particulier, nous sommes intéressés à générer des ensembles de données autonomes à haute fréquence, par exemple la température et l'oxygène en fonction de la profondeur, la couleur de l'eau, la quantité et la diversité du plancton, etc», explique Bastiaan Willem Ibelings, professeur à l’Université de Genève.
Plusieurs dizaines de recherches sont ainsi menées sur LéXPLORE, grâce à ses 109 capteurs.
Alors que la première phase arrive à son terme, que deviendra cette plateforme? «Les dix années suivantes seront consacrées à l’opérationnalisation et à l’expansion», se réjouit le professeur, signe que le lac continuera bien à être méticuleusement scruté.
Un nom en forme de pléonasme
Parler du «lac Léman» revient à répéter le même terme deux fois. Autrement dit à faire un joli pléonasme. En effet, «Léman» qui a des origines indo-européennes signifie ...«lac». Mais si vous avez la mauvaise habitude d’user de cette dénomination, rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls: par le passé, de nombreux géographes commettaient la faute, sans oublier César lui-même, qui nommait un «lacus lemanus», selon le Dictionnaire historique de la Suisse. À noter que dans certaines langues, on préfère parler de «lac de Genève», c’est notamment le cas en anglais et en allemand.