
EMPLOIS • Le secteur de la construction est-il gangrené par des sous-traitants véreux?
Le scénario est invariable. Des entreprises privées de la construction s’adressent à des sous-traitants actifs dans différents domaines comme par exemple le ferraillage. Pour décrocher le marché, le sous-traitant casse les prix. Et ensuite, il engage du personnel au noir qu’il rémunère à hauteur de quelques centaines de francs ou qu’il promet de rémunérer une fois le chantier achevé. Mais les salaires restent souvent impayés.
Nombreuses dénonciations
Pas moins de 15 dénonciations pénales qui ont été déposées par les syndicats auprès du Ministère public pour faillites frauduleuses en cascade et travail au noir massif. Il faut en effet savoir que ces petits entrepreneurs, mis en faillite systématiquement, renaissent immédiatement de leurs cendres. Ils créent une nouvelle SARL parfois à leur nom ou en utilisant le nom d’un membre de leur famille.
Thierry Horner, secrétaire syndical au SIT ne décolère pas. Pire, il parle lui d’un véritable système mafieux: «Ces sous-traitants fondent des sociétés avec pour capital leur camionnette. Ils engagent des personnes précaires. Et si ces travailleurs se plaignent, ils les menacent de prendre des mesures de rétorsion à l’encontre de leurs familles restées au pays .» Soit, mais si la justice est saisie pourquoi les agissements frauduleux ne sont-ils pas poursuivis? «A Genève, les contrôles paritaires et ceux des syndicats sur les lieux de travail fonctionnement bien. Mais la Justice et les autorités manquent de moyens et les dossiers demeurent trop longtemps à l’instruction. Alors, quand une peine est prononcée, l’auteur du délit a déjà quitté la Suisse depuis belle lurette. J’ai en mémoire le cas d’un sous-traitant qui a créé six entreprises tombées en faillite les unes après les autres. Il a encaissé des sommes extrêmement importantes auprès des entreprises principales qui l’avaient mandaté mais sans payer ni ses ouvriers ni les charges sociales. Autant dire qu’il menait grand train dans son pays. Il a fallu attendre sept ans entre la dénonciation et le jugement», affirme encore le secrétaire syndical.
A la charge de la collectivité
La dernière dénonciation pénale adressée en février au Ministère public est selon lui édifiante: «Il s’agit là encore d’un sous-traitant actif dans le second œuvre apparaissant dans le conseil d’administration d’un nombre impressionnant de sociétés dont une part a été radiée ou déclarée en faillite. Un membre de sa famille est présent lui aussi dans les organigrammes de plusieurs entreprises actives ou radiées. Ces personnes ont été traduites devant les Prud’hommes pour salaires impayés. Au-delà, l’une de leurs entreprises avait une ardoise de 80'000 francs contractée auprès de l’administration fiscale et des assurances sociales .» La multiplication des cas de sous-traitance véreuse dans certains secteurs de la construction amplifie donc le nombre de travailleurs non déclarés? «Certes. Et comme les sociétés qui les ont employés ne sont pas solvables, c’est in fine le contribuable qui règle les salaires impayés par le biais de la Caisse cantonale de chômage qui dispose d’une ligne pour indemnités en cas d’insolvabilité», affirme encore Thierry Horner. Pour lui enfin, il s’agit aussi d’une question de volonté politique. Il rappelle que les syndicats genevois ont proposé, il y a plus d’un an, un pacte social au Département de l’économie et de l’emploi accompagné de 14 propositions concrètes pour lutter efficacement contre les fraudes sociales. «Sans succès à ce jour», assure-t-il.
Permis de séjour valable
De son côté, Eric Biesel, directeur de la Société suisse des entrepreneurs Genève, indique que: «Les représentants patronaux et syndicaux sont à l'œuvre, notamment via la commission paritaire, pour endiguer ce phénomène qui ne saurait être toléré tant pour les intérêts des ouvriers que pour ceux des entreprises de la construction qui doivent pouvoir exiger de leurs sous-traitants le respect des réglementations en vigueur. Ceci n’est pas facile dans un contexte économique très tendu. Nul doute que dans le travail mené de concert avec les partenaires sociaux pour enrayer cette problématique qui touche principalement les secteurs du ferraillage, du coffrage et de l'isolation de façade, nous aurons besoin du concours renforcé de la part des autorités, notamment pénales. A ce titre, la partie patronale appelle de ses vœux un respect plus rigoureux des règles concernant les permis de séjour. Ceci aurait principalement pour mérite non seulement de réduire la vulnérabilité de certains travailleurs mais aussi de contribuer à renforcer une concurrence loyale entre sous-traitants.»