
BANDE DESSINÉE • Né à Lausanne, le scénariste et dessinateur vaudois Bernard Cosendai, alias Cosey, publie «Yiyun», une délicate histoire d’amour entre un jeune Alpin et une mystérieuse femme venue de Chine. Rencontre.
Lausanne Cités: Pourquoi le papier découpé est-il omniprésent dans «Yiyun»?
Cosey: L’art du papier découpé, c'est ma grande passion et je lui rends souvent hommage par des clins d’œil plus ou moins discrets dans mes BD. Ce qui me fascine dans cet art tel qu’on le pratique dans le Pays-d'Enhaut, c’est l’extraordinaire pouvoir d'évocation qu’il induit, avec des images souvent sans visages ou réduites à des silhouettes. Tout y est simplement suggéré, et c’est le lecteur qui crée lui-même ensuite une bonne partie de l’œuvre! C’est d'ailleurs aussi ce que je fais dans mes BD où mes dessins sont souvent à la limite de l'idéogramme, pour laisser toute sa place au travail de l’imagination!
Pourquoi avez-vous demandé à l’artiste Maou d’origine chinoise, de rédiger et dessiner le prologue de «Yiyun»?
J’ai connu son travail à travers la BD qu’elle avait consacrée à son expérience d’employée chez Ikea. Et j’avais tout de suite été séduit sa manière de dessiner, ayant encore plus que moi recours aux idéogrammes. Et puis, son exposition consacrée à son autobiographie d’enfant adoptée qui a échappé à l’horreur de la politique de l’enfant unique en Chine m’a beaucoup interpellé.
Justement la problématique de l’enfant unique est en toile de fond de «Yiyun». Pourquoi ce choix?
En fait, je travaille d’abord sur des récits sans chercher à aborder des thèmes précis. Pour «Yiyun», ma recherche de documents m’a conduit à m'intéresser à cette politique de l’enfant unique, dont on se rend compte, quand on lit les chiffres, à quel point elle était folle et a généré d’innombrables dégâts, avec des avortements forcés, des massacres de bébés, etc. C’est ainsi: quand mes récits se situent dans un contexte donné, je ne peux pas en faire abstraction. C’est d’ailleurs pour cela que je mentionne le hukou, ce fameux document qui à l’époque en Chine, permettait d’aller à l’école, de se faire hospitaliser… Sans lui, on n’existait pas, mais on échappait à la politique de l’enfant unique.
Yiyun questionne aussi le concept d’identité et d’unicité…
Ah oui, c’est mon obsession et c’est la grande question à laquelle personne n’a de réponse, pas même la psychiatrie ou la psychologie! Mais je ne fais que transmettre des questionnements qui me viennent de l’Inde ancienne et qui, à la question «Qui suis-je!», il a été répondu en sanscrit: «ni ceci, ni cela!».
Et puis, il y a aussi l’amour avec un grand A, que l’on retrouve si souvent dans vos albums… Est-il forcément impossible?
Il l’est peut-être dans la majorité des cas. Comme le disait Brassens, «Il n’y a pas d’amour heureux», même si c’est la plus belle chose du monde! En tout cas dans cet album, tout finit plutôt bien puisque Yiyun retrouve Urs et on devine qu’ils vont continuer ensemble…
«Yiyun», ou l’amour en trompe l’œil…
Années 90 au Pays-d'Enhaut, Alpes vaudoises. Urs, 14 ans, croit reconnaître, parmi des élèves venus d'Angleterre, Miss Wu la belle chinoise (qui porte un cache-oeil) d'une ancienne BD d'aventures. Les tentatives de parler à la jeune sosie de Miss Wu, qui en réalité se prénomme Mei, semblent vouées à l'échec…
Jusqu'au moment où Urs parvient à entraîner Mei sur le télésiège au moment de la fermeture. Les deux adolescents se retrouvent bloqués sur l'installation arrêtée pour la nuit. Persuadés de finir congelés avant l'aube, ils se rapprochent de plus en plus… Ils sont retrouvés par les secours quelques instants après leur premier baiser.
«Yiyun», par Cosey, éditions Le Lombard, octobre 2025.