Les bruit de chantier entre 
12 et 14h pourrissent la vie du voisinage

Rédigé par
Tadeusz Roth
Genève

Ras-le-bol • De nombreux travaux ne s’interrompent  pas toujours pendant la pause de midi,  au grand dam des habitants et des passants. 

Il est midi et demie, sur la rue de Carouge. Alors que des hordes de travailleurs et d’étudiants se pressent pour trouver de quoi manger, l’énorme chantier, qui fait déjà couler beaucoup d’encre et gêne les habitants et les commerçants, bat toujours son plein, sans s’arrêter. Les moteurs des gros camions vrombissent, les machines de chantier s’activent et les ouvriers hurlent pour s’entendre entre eux. Les passants, eux, se protègent les oreilles avec leurs mains, plissent les yeux dans la poussière. Plusieurs enfants pleurent et même les animaux semblent effrayés. «C’est insupportable. Ils ne respectent pas notre activité», commente une restauratrice, en préparant ses plats à l’emporter. «Ma terrasse est inutilisable, c’est un manque à gagner énorme», abonde un commerçant. Certains passants tentent d’interpeller les ouvriers, d’autres les prennent en vidéos. Mais sans aucun effet. «J’habite juste au-dessus, ce bruit me donne des maux de tête persistant. C’est invivable», témoigne un passant. 
Et pour cause. L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) lui-même reconnaît le bruit comme étant un facteur de nuisance pour la santé, mais aussi pour l’économie et la société. «Omniprésent, le bruit a des effets sur le corps et la santé mentale. Qu’elles émanent de la circulation, des chantiers ou à de l’industrie, les nuisances sonores persistantes portent atteinte à la santé et au bien-être, limitent sensiblement la qualité de vie et réduisent l’attrait des sites concernés. Il en résulte des coûts qui ne sont pas assumés par les responsables du bruit, mais par l’ensemble de la société», détaillent les autorités fédérales.    
Une heure de pause
Concrètement, l’OFEV, dans ses directives publiées en 2018, évoque qu’«en principe, les horaires de travail s’étendent de 7h à 12h et de 13h à 17h», soit une heure de pause justement au moment où l’on va manger. Pour certains travaux de constructions très bruyants, cette pause est même de 2h, soit entre 12h et 14h.
Au niveau cantonal, ces directives nous sont confirmées par le Département du territoire (DT): «En dehors des horaires d’ouverture de chantier autorisés dans le Règlement sur les chantiers (RChant), la réalisation des travaux très bruyants est assujettie à la directive fédérale «bruit de chantier». Celle-ci précise des horaires plus restrictifs pour ce type de travaux. En fonction de certains critères (localisation, durée du chantier) ces horaires plus restrictifs exigent une pause d’une ou deux heures à la mi-journée. Les travaux très bruyants selon la directive fédérale ne peuvent avoir lieu entre 12h et 13h voire entre 12h et 14h pour les chantiers assujettis au niveau de mesures le plus strict», résume Pauline de Salis, secrétaire générale adjointe auprès du DT. 
En cas de transgression, des sanctions peuvent être émises. Celles-ci vont «de 100 à 150'000 francs, selon la loi sur les constructions et installations». Le non-respect de la directive fédérale peut également «exposer les responsables de chantiers à des mesures de suspensions des travaux et à des amendes», ajoutent les autorités. 
2975 visites de chantier
Pour s’assurer que les règles sont bien suivies le service de l’inspection de la construction et des chantiers veille. L’an dernier, 2975 visites ont été effectuées, toutes thématiques confondues. De son côté, l’inspectorat environnemental des chantiers contrôle environ 400 sites par an, sur un ensemble de thématiques environnementales, dont le bruit. «Pour les deux services, cela correspond à une dizaine de personnes», éclairent les autorités. Pourtant, aucune plainte n’aurait été reçue directement du chantier de la rue de Carouge. «Les plaintes reçues par le SABRA concernant le non-respect des pauses de midi sont assez rares de façon générale», assure Pauline de Salis, qui rappelle également que des dérogations, dûment motivées, peuvent  s’appliquer.

Protection des ouvriers 

Du côté des syndicats, la problématique des horaires, et plus largement du respect des règles élémentaires, est suivie de près, notamment par le Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (SIT). Des règles qui ne sont pas là pour faire joli: «Elles sont édictées pour protéger les salariés et garantir la sécurité au travail, par exemple pour éviter les accidents en raison d’une fatigue excessive, dans un secteur où la pénibilité du travail n’est plus à démontrer. D’autant que la moyenne d’âge, dans le gros œuvre est relativement élevée, plus de 45 ans», détaille Thierry Horner, secrétaire syndical. 
Concernant les pauses de midi, elles seraient, en général, respectées.  «La loi sur le travail permet de faire une demi-heure, si la journée dure 7 heures, ou une heure en cas de journée plus longue. Dans l’écrasante majorité des cas, des pauses d’une heure sont toutefois accordées», rappelle le syndicaliste. Qui précise également que de manière générale, des calendriers concernant les horaires de travail doivent être réalisés, puis transmis aux commissions paritaires pour validation. 
Par ailleurs, l’organisation, avec de nombreux travailleurs sur le terrain, est en première ligne pour détecter les différents problèmes. «Lorsque nous sommes confrontés à des entreprises qui ne respectent pas certaines règles conventionnelles ou légales, ce qui arrive malheureusement trop souvent, nous procédons à des dénonciations, notamment auprès de la commission paritaire. Et puis, des contrôles sont menés régulièrement. Ils peuvent mettre à jour des manquements, par exemple en matière d’horaire ou de sécurité. A Genève, l’inspection paritaire est composée de 15 inspecteurs et inspectrices, chargés de contrôler les secteurs conventionnés de la construction dont celui du gros œuvre», détaille Thierry Horner, secrétaire syndical.
Enfin, le syndicat estime que les réformes actuellement voulues par les organisations patronales dans le cadre de la renégociation de la convention nationale vont dans un très mauvais sens. «Elles cherchent à flexibiliser toujours plus le temps de travail, avec pour objectif de permettre aux travailleurs d’effectuer des semaines de plus de 50 heures, accentuant les risques d’accident déjà élevés dans le secteur. Pourtant, il faut savoir qu’un maçon sur six est victime chaque année d’un accident et que, selon les statistiques, les travailleurs temporaires, au statut particulièrement précaire, sont soumis à 6% de risques d’accident supplémentaires alors qu’ils sont plus de 1000 à Genève.» Pour tenter d’inverser la tendance et d’obtenir de nouvelles protections pour les travailleurs dans la prochaine CCT nationale, une grève est annoncée par les syndicats les 3 et 4 novembre prochains.  

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