
VIN • Initiée par Raphaël Piuz il y a plus de dix ans, l’idée d’un conservatoire universel des cépages résistants est devenue réalité en avril dernier au Domaine des Dix Vins à Hermance. Une première mondiale offerte à l’humanité et une fierté pour ce vigneron philanthrope. A 20 ans, Raphaël Piuz avait des rêves plein la tête… Parmi eux, celui de créer un conservatoire inédit. Rencontre.
GHI: Quelle est la genèse de votre histoire?
Raphaël Piuz: Je viens d’une famille de paysans vignerons et mon premier rêve était de créer, avec mes amis, une production globale entre vigne, potager, plantes aromatiques et grandes cultures. Des multiples projets imaginés, sont nés les Potagers de Gaia et le Domaine des Dix Vins composé à l’époque de dix cépages traditionnels. J’ai aussi eu la chance d’avoir un père qui me laisse participer très tôt au futur du domaine. En 2014, quand un été humide et une pression de maladies très forte engendrèrent de lourdes pertes de récoltes, j’ai pris la décision de me tourner vers les cépages résistants que j’avais pu découvrir autour du monde. Entre 2004 et 2019, Raphaël voue en effet ses nuits à la musique. Son groupe Gypsy Sound System donne 1500 concerts dans plus de 40 pays. Au gré de ses pérégrinations, il rencontre vignerons et pépiniéristes, visite des conservatoires, découvre l’immense diversité des cépages robustes, s’inspire de modes de culture différents, et rentre au bercail un nouveau rêve en tête, celui de changer son encépagement pour en faire une bibliothèque vivante de cépages résilients.
Comment avez-vous réalisé ce rêve?
Je me suis inspiré de ce que l’écologie offre de meilleur et travaillé en partenariat avec des instituts spécialisés dans les croisements naturels entre Vitis Vinifera, cépages cultivés pour produire du vin depuis plus de 8000 ans et vignes sauvages ou anciennes qui ont su développer une résilience naturelle. Les pépins sont sélectionnés pour les qualités recherchées chez les deux parents: la propension à faire du bon vin et une excellente résistance. Il faut se rappeler que jusqu’au milieu du 19e siècle, aucune pulvérisation n’était appliquée à la vigne européenne et que c’est l’importation de plants américains porteurs de maladies (oïdium en 1845, mildiou en 1878 et black rot en 1885) qui obligea les vignerons à protéger la vigne d’avril à août. De ces croisements naissent des cépages robustes qui s’adaptent mieux aux variations climatiques, sont plus simples à travailler et nous permettent de réduire jusqu'à 80% les traitements phytosanitaires donc dix fois moins de produit. Côté vinification, ces cépages sont à même de remplacer les cépages emblématiques comme le gamay, le pinot noir, le merlot, la syrah, le chardonnay ou le sauvignon qui souffrent de plus en plus du cercle vicieux climat/maladies.
Mais il vous a fallu passer du rêve à la pratique…
Oui effectivement, grâce à un soutien familial sans faille, nous avons réalisé en dix ans ce qui normalement prend deux à trois générations. Arrachage, plantation… j’ai remplacé nos dix cépages par 100 cépages résistants, 50% en blanc et 50 en rouge! Le vignoble des Uns des Cent est unique au monde. Il est suivi et contrôlé par de grands instituts de recherche pour la collecte de précieuses données et près de 30 de ses cépages sont soutenus à la plantation par la Confédération. Je me réjouis de découvrir les déclinaisons de tous ces cépages robustes qui naîtront chez des vignerons et vigneronnes dans les années à venir. En tant que bibliothèque végétale, sa vocation est collective: être une alternative à l’existant, consultable par tout un chacun et répondre aux besoins et aux attentes des professionnels. Mon expérience et mes connaissances sont destinées à être partagées gratuitement. Je souhaite offrir mon expertise et un accompagnement sans idées mercantiles. Ce rêve devenu réalité, je le prends comme un legs à la viticulture que j’accompagne de mon vivant. J’ai beaucoup reçu de ce métier, de ses artisanes et de ses artisans. Il est donc de mon devoir de contribuer à ce savoir-faire.
Et le vin alors?
Je sais que les cépages résistants sont encore peu connus. Pour l’heure, 76 des 100 cépages sont vinifiés, les 24 autres sont encore trop jeunes. Je vinifie dix monocépages par an et j’y ajoute des assemblages. Je suis tel un compositeur devant son piano, je choisis la note majeure puis les notes d’inflexion. Il y a une cuvée pour chaque saison et chaque instant. En automne, j’aime le Chamberlain, rouge au profil de pinot noir avec prestance et profondeur; La Gloire de mon Père charpenté et puissant un sublime cabernet ou la Cuvée du Cercle, assemblage maturé en fût de chêne donnant un blanc minéral à la plénitude subtile et complexe. Les cuvées issues du domaine sont destinées aux passionnés et aux amoureux du vin.