«Les footballeuses ont besoin d’un salaire décent!»

Rédigé par
Adélita Genoud
Société

En juillet, Genève passe à l’Euro féminin de l’UEFA 2025.  Le ballon rond aurait-il véritablement gagné du terrain chez les femmes ces dix dernières années? Si le foot au féminin se rapproche du but, il y a encore quelques montagnes à soulever pour que les professionnelles puissent vivre décemment de leur talent. Rencontre avec Yoann Brigante, président du Servette FC Chênois Féminin.

GHI: Il y a vingt ans, les filles investissaient timidement les terrains de foot. Et les critiques n’étaient guère tendres à leur égard. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui? 
Yoann Brigante: Sur un plan strictement technique, il n’y a aujourd’hui aucune différence entre les deux genres. En atteste une étude sociologique menée en France. Un panel de spectateurs devait juger du jeu de footballeurs et de footballeuses. Les vidéos étaient tournées de telle sorte que l’on ne puisse pas repérer le genre. Résultat: les actions des unes et des uns ont été indistinctement appréciées. Si on ne peut nier les différences biologiques, force est de constater que les femmes ont très largement comblé leur retard.

Si elles performent sur les terrains, comment expliquer dès lors qu’elles peinent encore à déplacer les foules? 
Tout d’abord, elles manquent encore de visibilité. Quels supports de communication relaient les matches? Il y en a peu. La dernière coupe de Suisse n’a pas trouvé d’acheteur parmi les médias. Lucerne avait proposé une retransmission payante, autant dire dissuasive pour le spectateur. Pour notre part, nous avons promu en quelque sorte cette rencontre sur YouTube. Nous avions engagé alors deux commentateurs.

Qui prend place sur les gradins pour applaudir les matches féminins? 
Les familles de joueuses en premier lieu. Mais nous notons aussi un nombre croissant de jeunes gens. Et c’est précisément ce public masculin que nous tentons de convaincre.

Les footballeuses sont donc «condamnées» à aligner les victoires pour drainer le plus grand nombre de spectateurs? 
Certes et c’est là le principal levier. Mais pour déplacer les foules, il faut aussi offrir un certain confort, sécurité, animations. C’est là aussi un point que nous avons développé.

Les jeunes filles bénéficient-elles des mêmes conditions de formation que les garçons? 
Après Zurich et Bâle, notre club fait figure de pionnier en matière de prise en charge de ces futures athlètes. A telle enseigne que nous formons des joueuses en provenance de toute la Suisse romande et même de Lyon dont l’équipe professionnelle est sans doute la meilleure au monde. D’où ma volonté de renforcer notre académie, laquelle permet de faire émerger les championnes dans cinq catégories d’âge (moins de 14, 15, 16, 18 et 20 ans). C’est dans ce vivier que nous repérons les 4 à 5 footballeuses dans chacune des catégories qui vont se singulariser par leur jeu.

Scolarité, entraînements intensifs, comment les fillettes tirent-elles leur épingle du jeu? 
Genève dispose d’une filière sport-études, laquelle aménage des horaires qui permettent aux élèves de concilier l’un et l’autre. Elle n’est cependant accessible qu’aux étudiantes dès l’âge de 14 ans. Nous essayons d’obtenir un abaissement à 12 ans. 

Bon nombre d’affaires de dérapages sexistes ou de délits sexuels ont entaché le milieu sportif. Quels garde-fous avez-vous mis en place? 
Tout d’abord, il y a une mixité au sein du personnel. En outre, les jeunes ont accès de manière anonyme à une adresse en ligne qui leur permet de signaler des comportements inadéquats ou pénalement relevants. A ce jour, aucun fait délictueux n’a été porté à notre connaissance. Au-delà dans les bureaux grenat, je constate que la présence accrue des femmes permet de contenir les propos qui pourraient être graveleux.

Le milieu du foot souffre-t-il encore d’une image peu flatteuse le réduisant à un repère d’ignares? 
Quand vous voyez en boucle sur les réseaux sociaux ou dans les bêtisiers télévisés Franck Ribéry, par exemple, énoncer une succession de pléonasmes ou lorsqu’un jeune joueur bafouille parce qu’il est intimidé par les caméras, vous pouvez tirer des conclusions hâtives. La réalité est évidemment toute autre. Je pense – et elles ne sont pas les seules – à deux professionnelles, l’une termine son bachelor de médecine, l’autre est architecte. On est loin des clichés.

Qu’est-ce qui manque aux footballeuses pour être tout à fait sous les feux de la rampe? 
Il faudrait qu’elles puissent avoir un salaire décent et se consacrer ainsi pleinement à leur sport. Il y a en outre un besoin impérieux de changer la pelouse du stade des Trois-Chêne où elles s’entraînent. Et puis, il faut que les sponsors se tournent plus massivement vers le foot féminin. Ce sont là les grandes priorités sur lesquelles, mon équipe et moi-même, travaillons. 

En savoir plus