
Depuis les coupes opérées par l’administration Trump, mais aussi la situation géopolitique dans son ensemble et ses conséquences, la Genève internationale est sous pression. Les fonctionnaires concernés redoutent avant tout des non-renouvellements decontrats, des licenciements ou encore les risques de départ. Pour leur venir en aide, le Canton multiplie les mesures, notamment financières. Entretien avec Nathalie Fontanet, à la tête du Département des finances, notamment chargé de la Genève internationale.
Quelle est la situation actuelle?
Nathalie Fontanet: C’est un moment particulièrement difficile et sans précédent dans l’histoire de ces institutions et organisations. Les pertes de financements, allant jusqu’à 40%, sont très brutales. Cela génère énormément de stress, puisqu’il y avait jusqu’ici une forte dépendance à l’égard des Etats-Unis, mais aussi parce que d’autres pays ont réduit leur budget, par exemple en raison de difficultés économiques, ou pour investir dans la défense. Ces baisses se traduisent par un grand nombre de licenciements. Beaucoup de collaborateurs et collaboratrices sont dans l’incertitude, risquant non seulement de perdre leur emploi, mais aussi de devoir quitter plus ou moins subitement la Suisse, alors que ces personnes vivent ici depuis des années avec leurs familles.
Vous redoutez que certaines organisations s’en aillent?
Il y a effectivement une forte concurrence: de nombreuses villes et pays où la vie est moins chère font des offres pour accueillir certaines organisations. Mais les atouts du canton de Genève demeurent importants, dont le fait que toutes les organisations y sont géographiquement proches les unes des autres, ce qui permet une plus grande efficacité et une meilleure efficience. Nous ne pourrons pas éviter des départs. Certes, certaines entités partiront, mais nos efforts communs vont permettre de maintenir le cœur de l’activité ici à Genève. C’est essentiel, car ce ne sont pas que des emplois dont nous parlons. L’enjeu porte aussi des valeurs qui font partie de l’identité de notre canton et de la Suisse, comme le droit humanitaire, la paix, le dialogue, la solidarité, ou encore la coopération.
Que représente la Genève internationale pour le Canton?
Elle est d’une très grande importance pour notre économie locale. Le personnel de ces institutions utilise les nombreux services genevois et consomme dans notre canton, que ce soit dans les restaurants, les magasins, les coiffeurs, les fleuristes, etc. Les organisations internationales dépensent 4 milliards de francs dans la région. On estime que les 36'000 emplois de la Genève internationale génèrent 18'000 postes de travail dans d’autres secteurs de notre canton. En leur venant en aide, nous soutenons également notre économie de proximité.
Une Fondation, la FAGI, a notamment vu le jour sous l’impulsion de votre Département. Comment cela fonctionne?
Il s’agit d’un partenariat privé/public, puisque cette nouvelle fondation bénéficie du soutien de la Fondation Wilsdorf. C’est un aspect essentiel, car les enjeux touchent Genève dans sa globalité. Concrètement, la FAGI ne va pas compenser les baisses de financements, mais soutenir l’innovation dans les organisations internationales et les ONG. L’objectif est de leur permettre de s’adapter au nouveau contexte financier, d’encourager de meilleures synergies entre elles, mais aussi de rassembler les organisations internationales et les ONG afin qu’elles travaillent ensemble et qu’elles se réinventent pour anticiper la suite. Cette entité vise des projets concrets, tels que la transformation numérique et le déploiement de l’IA. La FAGI ne cherche donc pas à mettre toutes les organisations internationales sous perfusions, ce qui serait impossible. Elle dispose pour l’heure de 52 millions de francs, la Ville de Genève s’étant jointe à l’effort, pour une durée de 5 ans. Mais la FAGI peut chercher des fonds supplémentaires, privés ou publics, si nécessaire.
Genève a également adopté une loi relative aux aides financières extraordinaires destinées aux organisations non gouvernementales (LAFONG). Quels résultats produit-elle?
Il faut d’emblée préciser que cette loi a mis du temps à entrer en vigueur, notamment en raison d’une tentative de référendum. Mais aujourd’hui, elle permet de venir en aide sur des cas précis. Elle a d’ores et déjà reçu plus d’une vingtaine de demandes d’entités différentes, pour environ 140 employées et employés concernés. Derrière ce chiffre, ce sont des ONG importantes qui ont ainsi pu être soutenues.
Une aide de 270 millions a également été accordée par la Confédération. Vous saluez cette bouffée d’air?
Absolument, cette aide joue un rôle important, d’autant que la Genève internationale est un précieux outil de la politique extérieure de la Suisse. Les mesures annoncées par la Confédération ont également été approuvées par le Conseil National, ce qui est un soulagement. Il faut aussi rappeler que si Genève n’avait pas ce caractère international, c’est son identité même qui serait menacée. Aujourd’hui notre canton, en tant qu’instrument de coopération de la Suisse, jouit d’un rayonnement indéniable en la matière.
Certains Genevois se demandent si ces montants offerts à la Genève internationale ne risquent pas de péjorer nos propres finances. Que leur répondez-vous?
Nous effectuons toujours une pesée des intérêts avant d’engager ce type de soutien financier. Or, il ne s’agit pas d’une charge continue, mais d’une aide limitée dans le temps. Le Politique l’a bien compris: c’est pour cela que les montants correspondants ont été votés à la quasi-unanimité (moins une voix). Le Privé l’a bien compris aussi, comme en témoigne la création de la FAGI.
Ces aides vont-elles suffire?
Non et nous l’avons toujours affirmé, nous ne pourrons pas pallier l’ensemble des besoins. D’ailleurs, l’objectif n’est pas de le faire, mais d’agir pour toutes ces personnes qui travaillent ici et pour préserver la mission même des organisations internationales. Rappelons-nous que celles-ci sauvent des vies tous les jours. Même si elles ont leurs défauts et doivent s’adapter, elles sont nécessaires pour faire face aux défis mondiaux qui nous concernent toutes et tous. La paix, les droits humains, la prévention des crises, les alertes météorologiques, la régulation de l’intelligence artificielle: tout cela se passe à Genève, tous les jours.