L'intelligence artificielle représente une évolution aussi importante que le feu ou l’électricité pour l’humanité. Pour les experts nous sommes face à un défi social qui va impacter en profondeur un large spectre d'emplois.
L’intelligence artifielle (IA) est entrée depuis peu dans nos vies. Plusieurs marques de voitures intègrent la plus célèbre, ChatGPT. L’IA est capable de beaucoup de choses, à tel point qu’elle menace des millions d’emplois et en crée beaucoup, sans que l’on sache combien. BMW vient d’effectuer un test avec des robots humanoïdes, qui ont rempli leurs tâches sans problème. Le 1er août, les acteurs de jeux vidéo ont fait grève, estimant leur profession en danger. Leurs voix, les gestes qu’ils font pour la capture de mouvements font partie des tâches qu’une intelligence artificielle est apte à reproduire «Je pense que (…) lorsque l’on remplace l’élément humain par l’IA, on peut le dire!», a déclaré Jeff Leach, acteur de Call of Duty. Leeana Albanese, doubleuse du jeu de stratégie Persona 5 Tactica: «Les modèles qu’ils utilisent ont été formés sur nos voix sans notre consentement et sans aucune compensation», selon Reuters
Une question de niveau
A l’Uni de Genève, Jean-Marc Seigneur (maître d’enseignement et de recherche à MediaLab) travaille sur plusieurs projets, notamment sur la confiance. Il y a un danger systémique, par exemple si les IA gèrent des centrales nucléaires. Un autre dans la médecine: «Je ne me ferais jamais opérer par un robot piloté par une IA actuelle sans contrôle humain». Le fonctionnement de ces intelligences repose sur les statistiques. Si un problème inédit, non répertorié, se présente, qui dit qu’elles ne vont pas inventer leur solution? Car les erreurs sont possibles, «les réseaux neuronaux sont devenus très complexes et nous ne comprenons pas toujours pourquoi ils donnent certaines réponses.»
Sur le plan économique, des professions entières seront impactées. Un cadre ou un manager peut demander à ChatGPT d’écrire une lettre en quelques secondes. Si sa secrétaire est formée, elle le fera, sinon il n’aura plus besoin d’elle. Le niveau dans l’économie risque d’être important: les cadres pourront se payer les abonnements nécessaires, pas forcément les employés. Ce qui pose un autre souci, «les IA vont vous aider, certes, mais elles fonctionnent 24 h sur 24 et elles peuvent créer des burn-out!» Autre domaine: «Cela fonctionne très bien pour les traductions, les interprètes ont de quoi s’inquiéter», relève M. Seigneur.
Pertes d’emplois
Un congrès «IA for Good» sous l’égide de l’UIT (Union Internationale des Télécommunications) a réuni une foule de spécialistes. Gitah Gopinath premier directeur adjoint du Fonds monétaire international (FMI) rappelle que les cycles existent dans l’économie. Dans une crise, 88% des pertes d’emplois arrivent dans la première année de récession. Que pourrait-il en être avec les IA? «Elles affectent un plus large spectre d’emplois», a-t-elle relevé, «30% dans les économies avancées, 20% dans les émergentes et 18% dans les pays à faibles revenus». Le but premier de ces intelligences est la prédiction. Mais en cas d’événement inédit, elles pourraient surréagir et aggraver la crise. Du côté constructif, elles posent un défi social, auquel les politiciens devront répondre: comment renforcer la position des travailleurs et, surtout, comment leur permettre d’avoir le temps de trouver une solution pour correspondre à la demande. Les promesses de l’IA ne sont pas toutes négatives, selon Mme Gopinah, elles pourraient faire partie de la solution, aider les pays qui manquent d’enseignants, prévenir des événements dans le monde financier. Les estimations de l’UIT sont que 60% des emplois vont être touchés par l’IA dans les économies développées, Mais dans quel sens, positif ou négatif?
Le Prof. Marcel Salathé, co-directeur de l’EPFL AI Center, se veut rassurant: «Il faut rappeler qu’au cours des 50 dernières années, voire plus, chaque fois qu’une nouvelle technologie numérique est apparue, la crainte d’un chômage de masse ne s’est jamais concrétisée. C’est même le contraire qui s’est produit. Nous sommes aujourd’hui à un niveau de chômage historiquement bas. Je ne vois donc pas de raison particulière pour que les choses soient très différentes avec l’IA.» L’association CH++ a réalisé une enquête et «il en ressort que les gens sont plutôt optimistes quant au rôle de l’IA dans la résolution de problèmes importants», relève M. Salathé. De petits robots interactifs, dans les établissements pour personnes âgées ou les crèches, ont déjà prouvé leur apport positif.
Espoirs et craintes en médecine
Avi Goldfarb, économiste à l’Université de Toronto (Canada), rappelle que l’internet n’était pas une nouvelle technologie, mais une nouvelle économie. Vue ainsi, «l’IA peut être vue sous un jour nouveau». En médecine, les machines de diagnostic vont pouvoir renforcer le travail des médecins. Le cœur du système, c’est lui. Avec l’IA, le diagnostic s’ouvre aux autres soignants, en leur apprenant à l’utiliser. «Cela permettra d’augmenter fortement les possibilités de détection.» On peut se demander si, du côté des traitements, les pharmas ne risquent pas d’être les gros fournisseurs d’informations, avec toutes les dérives que cela comporte. Selon M. Goldfarb, tout est question d’incertitude. «Nous gardons les gens aux soins intensifs ou à l’hôpital parce que nous ne savons pas ce qu’il peut se passer. Un meilleur diagnostic, une meilleure prédiction permettraient d’améliorer la prise en charge et le suivi.»