"Nous devons miser sur la médecine sur mesure!"

Rédigé par
Adélita Genoud
Santé & Bien-être

Economiser ici, rationaliser là pour tenter d’inverser la  progression constante des coûts de la santé? Panteleimon Giannakopoulos n’y voit là qu’un cautère sur une jambe de bois. Le nouveau directeur de l’Office cantonal de la santé juge au contraire que Genève ne peut se dispenser d’une réforme en profondeur. Ce d’autant que la population est vieillissante et exposée à des affections chroniques. Il s’agit de développer un vaste programme de prévention pour maintenir le capital santé des Genevois. Et d’utiliser les formidables progrès de la médecine – comme les biomarqueurs (détection de la maladie avant l’apparition des symptômes) – pour établir étape après étape la trajectoire du patient. Cette révolution qui s’amorce est au cœur des Etats généraux de la santé du  24 juin réunissant tous les acteurs privés et publics du domaine sanitaire genevois. Rencontre avec le professeur Giannakopoulos.

GHI: Aujourd’hui, la politique de soins est centrée sur la maladie. Qu’est-ce qui change dans votre approche? 
Panteleimon Giannakopoulos: Au lieu d’attendre que la maladie se déclare, le principe est d’investiguer les risques encourus par le patient. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, les biomarqueurs permettent, avec une marge d’erreur très faible, de savoir comment les troubles de la mémoire débutants vont évoluer à 5 ou 10 ans. Si l’analyse de la trajectoire individualisée des malades a commencé il y a une quinzaine d’années, elle doit s’intensifier dans le cadre de la médecine personnalisée et préventive car elle représente l’un des axes du nouvel édifice de soins.

Une médecine sur mesure ne risque-t-elle pas de peser sur la facture? 
Au contraire. Cette vision d’avenir – elle ne pourra pas entrer en force d’un claquement de doigts – offre plusieurs avantages. Tout d’abord pour le patient. Beaucoup de programmes préventifs existent ou vont prochainement émerger améliorant ainsi son état. Ensuite, cette anticipation pourra empêcher, autant que faire se peut, qu’une affection grave survienne. Laquelle nécessiterait d’une part une prise en charge hospitalière lourde pour le malade. Et d’autre part, participerait à l’explosion constante des coûts de la santé.

Il existe déjà un certain nombre de dépistages (cancer du sein, de la prostate notamment), d’autres pourraient être préconisés? 
L’Observatoire de la santé, outil statistique, met en évidence des caractéristiques genevoises. La population est jeune, cosmopolite, le système de soins performant. Il n’empêche que certains indicateurs sont inquiétants, à commencer par la santé mentale chez les jeunes de 15 à 25 ans. La perception que nous en avons est mauvaise. Même constat concernant la santé mentale au travail. Comment diminuer la charge? Il existe des programmes de sensibilisation mais nous devons faire bien davantage dans ce domaine. Toutefois, ceci en identifiant la ligne de démarcation entre ce qui est «normal» et ce qui relève du pathologique. Sans cette balance, il y a un risque de psychiatrisation de la société. Un autre exemple: le surpoids et l’obésité observés chez les jeunes, une épidémie silencieuse qui touche l’Europe.

Votre réforme représente un travail titanesque? 
Sans doute. Mais, il est de notre responsabilité de lancer le processus sans tarder sachant que les fruits seront récoltés plus tard. iI s’agit de développer un système dans lequel l’hôpital n’est plus le centre unique du dispositif, mais le maillon d’une chaîne. A cet égard, l’approche en silo – les différents acteurs agissent indépendamment les uns des autres – s’est avérée contre-productive. La solution réside dans la création d’un véritable réseau de compétences et de soins centré sur la communauté. Ainsi grâce à l’impulsion du Département de la santé et des mobilités, les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et l’Institution genevoise de maintien à domicile (Imad) accélèrent leur synergie. Toujours dans l’optique de mieux répondre aux besoins du patient en favorisant son retour à la maison. Mais pour que tout cela fonctionne de manière optimale, le système a besoin de professionnels aguerris. Or, nous savons que les vocations se raréfient notamment dans les soins infirmiers.

Les maisons de santé entrent-elles dans ce changement? 
Elles jouent un rôle crucial car elles interviennent sur le plan de la prévention et des soins de proximité. Elles assurent en outre des visites domiciliaires pour couvrir les besoins de patients avec de multiples pathologies ou financièrement vulnérables. Il faut savoir qu’aujourd’hui, le nombre des travailleurs pauvres est en hausse. Et, que faute de ressources, ils renoncent de plus en plus fréquemment à consulter. Il y a un vrai danger de voir à Genève, comme dans d’autres villes européennes, se propager une médecine à deux vitesses.

Et la médecine de ville? 
Elle participe activement à l’élaboration du vaste maillage de soins en collaboration avec l’Etat.

Ce grand chamboulement requiert l’adhésion de toutes les parties prenantes? 
C’est un travail de concertation nécessaire, un marathon et non pas un sprint. Nous ne pouvons plus nous résigner face à la croissance des dépenses de santé et nous devons nous montrer innovants pour faire face aux effets annoncés du vieillissement de la population. Tant les HUG que l’Imad ont la capacité et la volonté de changer la donne en profitant des espaces de collaboration, en intégrant les nouvelles technologies et en améliorant la trajectoire du patient du domicile à l’hôpital et vice versa.

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