Santé mentale, Genève 
broie du noir

Rédigé par
Valérie Geneux
Santé & Bien-être

Comme dans les grandes villes européennes, les habitants de la cité de Calvin sont très exposés aux maladies psychiques et nombre d'enfants  suivent des thérapies. La solution? Miser sur plus de sensibilisation à la prévention.

Le dernier rapport de l’Observatoire suisse de la santé classe Genève dans le peloton de tête des cantons les plus fragilisés sur le plan de la santé mentale.
Un quart de sa population présente des signes de détresse psychologique, selon un des derniers rapports de l’Observatoire suisse de la santé. Plus de la moitié des habitants se sentent parfois, voire très souvent, seuls. Une proportion qui grimpe à 74,8% chez les jeunes femmes de 15 à 34 ans. Genève enregistre également le taux le plus élevé du pays de symptômes dépressifs: 13,2%; ainsi que le taux le plus fort de troubles du sommeil: 42,4% contre 32,9% pour la moyenne suisse.
Hyperconnecté, densément peuplé, socialement diversifié, mais aussi marqué par l’isolement et la détresse intime, comment – malgré la richesse de son offre en soins psychiatriques et en ressources – s’est-il hissé aux premières places suisses en termes de vulnérabilité psychique?
Tendance dans les grandes villes
Ces chiffres, alarmants, doivent toutefois être interprétés avec prudence. Pour Stefan Kaiser, médecin-chef du Service de psychiatrie adulte des HUG, la tendance générale est similaire dans tout le pays, même si Genève présente des valeurs plus élevées. «Bien que le canton connaisse des statistiques moins bonnes qu’ailleurs, la tendance est partout la même. Nous assistons à une péjoration de la santé mentale de manière générale. Si nous comparons Genève avec d’autres grandes villes européennes, les données se recoupent. De plus, cette étude est basée sur le ressenti des gens interrogés et non sur des diagnostics posés par des professionnels de la santé», explique-t-il. Si 34,2% des Genevoises et Genevois déclarent être confrontés à la dépression, seuls 7% ont reçu un diagnostic médical, révélant un écart frappant entre ressenti et réalité clinique. «Le sentiment subjectif des Genevois sur leur santé mentale est très négatif. Cette tendance est constante depuis au moins 2017», précise Panteleimon Giannakopoulos, psychiatre et directeur général de l’Office cantonal de la santé genevois.
Précarité
Stefan Kaiser propose plusieurs explications pour comprendre ce phénomène propre au bout du lac. «Nous vivons dans un canton urbain, ce qui constitue un facteur de risque. Nous rencontrons aussi plus de problèmes liés à la précarité qui péjore directement la santé psychique. Enfin, Genève connaît d’importants mouvements de population, souvent associés à un sentiment de solitude accru, avec un impact direct sur la santé mentale.» 
A cela s’ajoutent des facteurs globaux: crises géopolitiques successives, séquelles de la pandémie de Covid, creusement des inégalités et effets du changement climatique. «Un autre facteur à prendre en compte est celui de la déstigmatisation des problèmes de santé mentale. Aujourd’hui, nous en parlons beaucoup plus, et probablement plus qu’en Suisse alémanique par exemple, ce qui contribue à l’augmentation des consultations et des prises en charge», ajoute le psychiatre. 
Miser sur la prévention 
Que faire face à ce constat? Avec plus de 500 cabinets de psychothérapie, le canton compte quatre fois plus de praticiens par habitant que la moyenne européenne, selon Panteleimon Giannakopoulos. «Notre offre de soins en santé mentale est déjà très bonne. Il faut désormais mettre en place des campagnes de prévention plus importantes», relève le directeur. 
Concrètement, ce dernier souhaite lancer des campagnes valorisant les comportements favorables à la santé mentale. Une bonne hygiène de vie, la pratique sportive, un tissu social solide ou encore la lutte contre l’isolement en font partie. «Il n’y a pas une seule manière de se sentir bien, car les causes des maladies mentales sont multifactorielles. Il faut donc agir sur plusieurs éléments en même temps», souligne-t-il.
Le directeur de l’Office cantonal de la santé souhaite également mettre l’accent sur la prévention de la santé mentale dans les milieux professionnels et auprès des enfants, directement dans les écoles. «Nous avons déjà une présence de psychologues scolaires au Cycle d’orientation, que nous souhaitons désormais étendre à l’Ecole primaire. De plus, dans les milieux professionnels, un travail sur  la prévention du burn-out s’impose.» Reste à savoir si les moyens financiers suivront et permettront de faire sortir Genève de sa dépression.

La pédopsychiatrie est saturée

Les professionnels de la santé s’accordent à dire que la santé mentale des jeunes se dégrade avec une réelle augmentation de la fréquence des troubles. A Genève, un jeune sur dix consulte un spécialiste. Le docteur Rémy Barbe, médecin adjoint au service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent des HUG, observe toutefois que cette hausse s’explique par plusieurs facteurs complémentaires. D’une part, les consultations ont nettement augmenté depuis la période du Covid. «Mais cela ne signifie pas uniquement que les jeunes vont plus mal, précise-til. Les parents sont aujourd’hui plus attentifs, et les enfants savent qu’ils peuvent demander de l’aide. Cela contribue à multiplier les prises en charge.» D’autre part, cette tendance reflète aussi une transformation des pratiques éducatives. «Les parents privilégient désormais une éducation plus positive, sans punitions corporelles ni humiliations. Ce changement est salutaire, mais il entraîne aussi de nouveaux défis. Beaucoup d’enfants peinent à se réguler émotionnellement ou au niveau de leur comportement. Ces difficultés risquent alors d’être rapidement interprétées comme un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), alors qu’il s’agit parfois avant tout de problèmes de régulation liés à l’évolution du cadre éducatif.» Dans une société où l’autorité est de moins en moins verticale, le pédopsychiatre appelle à «inventer de nouvelles manières d’être ensemble, entre adultes comme avec nos enfants». Au-delà de ces constats éducatifs, d’autres tendances préoccupent également les autorités cantonales. «Nous constatons une hausse des demandes de rentes AI pour des raisons psychologiques, émanant de jeunes parfois même pas encore entrés sur le marché du travail», relève Panteleimon Giannakopoulos. Et d’ajouter que la santé mentale des jeunes femmes s’est dégradée depuis la période du Covid, et ce, beaucoup plus fortement que celle des jeunes hommes.

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