Une Genevoise de 91 ans, emmenée de force et dépouillée

Rédigé par
Tadeusz Roth
Genève

Une retraitée de 91 ans a été victime d’une escroquerie de plusieurs dizaines de milliers de francs. Les voleurs redoublent d’imagination et ne montrent aucun scrupule, par exemple en «enlevant» leur victime. La police surveille de près le phénomène et rappelle les bons gestes pour se protéger. 

«Ma grand-maman de 91 ans a subi un vol particulièrement choquant en octobre 2024. Il s’est déroulé en plusieurs phases: dans un premier temps, elle a reçu un téléphone de personnes se faisant passer pour des policiers. Ils lui ont demandé de leur ouvrir sa porte pour identifier des papiers retrouvés. Elle s’est laissée impressionner et a accueilli les deux voleurs sans trop se méfier.
Mais ces faux policiers ne se sont pas contentés d’une visite à 23h. Ils sont revenus le lendemain matin pour acheminer la nonagénaire à la Poste du Mont-blanc, soi-disant pour récupérer ses papiers. Une fois sur place, ils lui ont dit qu’elle devait retirer 20'000 francs, et qu’en cas de questions elle expliquerait que c’était pour un voyage. Et ce n’est pas tout. A la sortie de la Poste elle a dû monter dans un taxi qui l’a emmenée… à Thonon, en France voisine. Après avoir été obligée de remettre une première somme, elle a été contrainte de remonter dans un autre taxi pour aller retirer encore de l’argent à sa banque et vider son coffre. Heureusement, elle a expliqué au chauffeur de taxi qu’elle souhaitait rentrer chez elle et qu’elle ne donnerait plus d’argent. Le chauffeur, pressentant un problème, a eu la présence d’esprit de l’amener directement au poste de police des Pâquis.».Voilà la mésaventure dont a été victime la grand-mère d’Anthony*, une habitante de Meyrin.
Alerter la population
Pour son petit-fils, encore abasourdi, cette histoire met en lumière de nombreux problèmes. «J’aimerais que le traumatisme que ma grand-mère a vécu alerte au maximum la population. Ce d’autant qu’elle a dû être confrontée à ses agresseurs et revivre les événements au moment du procès», témoigne le jeune homme. Et d’ajouter qu’il ne comprend toujours pas comment La Poste a simplement pu remettre 20'000 francs à sa grand-mère, sans lui poser davantage de questions. «Pourtant, elle devait être stressée, puisque les malfrats l’attendaient devant la porte», assure-t-il.
Autre motif de colère: alors que les deux brigands ont pu être arrêtés, rien n’a encore été remboursé. «Ils ont pourtant été condamnés à lui restituer 32'000 francs. Mais ils sont insolvables. Un an après, ma grand-maman n’a pas revu ne serait-ce qu’un centime, ce qui l’empêche de passer à autre chose. C’est étonnant car avant d’être interpellés, ils ont acheté de l’alcool et des chaussures. On se sent dès lors impuissants», ajoute Anthony.
Toujours selon notre interlocuteur, l’un des deux félons aurait même été relaxé après le procès alors que les deux auteurs auraient été reconnus coupables. «Rien ne se passe, et nous devons, nous, entreprendre des démarches par rapport au montant dû. Et ceci à nos frais, ce qui est inadmissible.».
Le cas de cette aînée n’est pas isolé.  La police cantonale confirme au contraire l’ampleur du phénomène. «Les faux policiers et aux arnaques dites à la fausse qualité occupent quotidiennement nos services depuis la recrudescence enregistrée en 2023. De nombreux messages de prévention ont été diffusés auprès des citoyens pour tenter d'endiguer ce phénomène. Une lettre a été envoyée au début du printemps à plus de 92'000 résidents du canton âgés de plus de 65 ans, les mettant en garde contre ce type de larcin et diffusant des conseils de prévention. (Dont GHI avait d'ailleurs parlé dans un article au mois d'avril). En plus du travail d'enquête de la brigade de répression des vols et cambriolages (BRCV) et des surveillances effectuées par les divers services de police, il est probable que la prévention ait une incidence sur l'augmentation des cas dénoncés aux forces de l’ordre. En effet, de nombreux individus nous ont été signalés depuis le début de l'année, ce qui a permis leur interpellation», informe Aline Dard, chargée de communication en prévention et porte-parole.
Personnes âgées
Concernant les cibles des malfaiteurs, elles sont souvent âgées de plus de 70 ans et vivent seules. D’après la police, elles sont choisies pour leur vulnérabilité, leur respect de l’autorité et bien entendu également parfois leur niveau de fortune. «Les victimes sont fréquemment appelées sur des lignes fixes (peu utilisées par les personnes plus jeunes) dont les numéros auront été trouvés sur des annuaires en ligne. Les prénoms dits «anciens» sont spécialement choisis», ajoute la porte-parole. Du côté des voleurs, les forces de l’ordre indiquent qu’il s’agirait avant tout de groupes criminels organisés, souvent basés à l’étranger, notamment en France.  «Le réseau est structuré, avec un «centraliste» qui appelle les victimes depuis des call centers, un «logisticien», se chargeant de la coordination locale, ainsi qu’un «ramasseur», venant chercher les objets ou l’argent.» Ce dernier serait d’ailleurs souvent jeune, recruté sur place ou via des petites annonces. Plus largement, le recrutement de complices se ferait régulièrement sur les réseaux sociaux, avec de fausses promesses d’emploi. «Il peut s’agir de mineurs qui acceptent un petit job bien rémunéré pour se rendre au domicile des victimes et récupérer l’argent ainsi que les cartes bancaires afin de les remettre ensuite au commanditaire», précise encore Aline Dard.
Si on note un léger recul des plaintes depuis cet été, le mode opératoire n’en reste pas moins convaincant. Les escrocs agissent sans scrupule et avec ingéniosité. Ils adaptent leur scénario afin de parvenir à leurs fins. Ils n'hésitent pas à utiliser des moyens de pression déstabilisants pour se légitimer et poussent leur victime à agir dans l'urgence. «Il est ainsi difficile pour ces dernières d'avoir la bonne réaction lorsqu'elles sont confrontées à ces situations.»
Enfin ,  la police confirme que récupérer son argent n’est pas aisé. «Celui-ci transite par divers comptes et pays, rendant difficile le suivi des flux financiers et leur saisie.» Quand il s’agit de bijoux, la police peut parfois les récupérer lors de perquisitions ou d’arrestations et les restituer à leurs propriétaires. «Quant aux organismes bancaires et postaux, bien que sensibilisés, les employés ne peuvent pas questionner les clients sur les raisons d’un retrait important, confidentialité oblige. Et puis, les escrocs exigent de leurs victimes qu’elles gardent le secret et agissent sans délai. Pris par le stress, de nombreux seniors ne perçoivent pas les signaux d’alerte du personnel. Il n’est pas rare non plus que des personnes âgées retirent d’importantes sommes sans être la proie d’escrocs», conclut la policière. 
*prénom d’emprunt

«Nous les aidons dans leur gestion financière»

AG • Trois questions à Pro Senectute, fondation privée reconnue d’utilité publique, dont la mission est d’améliorer le bien-être matériel, physique et moral des personnes âgées.
Votre institution reçoit-elle des témoignages de victimes?
Oui, certains bénéficiaires de nos foyers de jour évoquent ce type de mésaventures et nous les orientons vers les services compétents en la matière. La police notamment, et nous accompagnons les bénéficiaires pour déposer plainte, ou le réseau des proches aidants afin que le bénéficiaire ne reste pas seul pour gérer le problème.  Au niveau de notre service de Consultation sociale, nous avons aussi ce type de témoignages, nous accompagnons alors les personnes pour qu'elles puissent déposer plainte et surtout mettre en place des garde-fous, afin que ça ne se reproduise plus comme, par exemple, la mise en place de prélèvements directs, un accompagnement dans la gestion financière ou parfois des signalements au Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (TPAE) lorsque le comportement de la personne est jugé à risque.

Quelles sont vos actions visant à prévenir ces risques?
Des séances sont organisées environ 2 fois par année dans chaque foyer de jour, avec la police de proximité pour des actions de prévention et de sensibilisation sur cette question. Dans le cadre du service de Consultation sociale, nous accompagnons les personnes vulnérables sur le plan administratif et de leur gestion financière, pour réduire ainsi les risques d'escroquerie. Nous les sensibilisons par ailleurs avec des messages préventifs et organisons également des séances d'information avec la police cantonale.

Pensez-vous que la collectivité au sens large est suffisamment engagée pour lutter contre ce fléau?
Non, il faudrait en faire plus. Ce fléau est malheureusement largement répandu et les escrocs sont imaginatifs et ont souvent une longueur d'avance dans l'innovation du pire, surtout par le biais des supports numériques, notamment auprès des personnes vulnérables, mais pas seulement, comme nous l'avons encore vu dernièrement avec les SMS concernant les amendes d'ordre.

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