Après les années Covid, la petite reine rétropédale

Rédigé par
Abdoulaye Penda Ndiaye
Société

TENDANCE -  Depuis la fin de la pandémie, les ventes de vélos traditionnels sont en recul. Deux raisons principales: les cycles ont une durée de vie plus longue et les e-bikes semblent avoir le vent en poupe.

Tout le monde se souvient du marqueur temporel que fut la pandémie. Le succès fulgurant du vélo durant cette période reste aussi gravé dans les mémoires. Alors que le papier toilette disparaissait des rayons, les deux-roues aussi connaissaient un essor inédit. Dans un monde de télétravail, de transports publics évités et d’activités sociales limitées, écologique et pratique, le vélo devenait le moyen de transport idéal. Des «coronapistes» temporaires ont vu le jour, notamment à Genève et à Lausanne.
Aujourd’hui, force est de constater que la parenthèse dorée d’il y a cinq ans relève du passé. La petite reine n’est plus la reine des cœurs. Tel est le constat de vendeurs de cycles, désemparés face à des lendemains qui semblent bien incertains.
«Aujourd’hui, tout le monde fait du déstockage»
A Genève, New Bike Store en fait le constat. «Durant la pandémie, il y a eu trop de demandes par rapport à l’offre. Le temps d’attente entre la commande et la réception des vélos avait décollé. Le prix des cycles aussi. Aujourd’hui, c’est le contraire. Dans mes deux magasins, par rapport à la période Covid, il y a une baisse d’environ 15% de la vente de vélos. En revanche, les ateliers de réparation sont davantage sollicités», souligne Pascal Vellas, qui gère l’enseigne. Selon lui: «Le sur-stockage volumineux d’après-Covid pose problème car de nombreux fabricants ou magasins déstockent et cela pèse sur les marges du secteur. On fait du chiffre, mais beaucoup moins de bénéfice.»
William, responsable de Cyclabe Genève Charmilles explique pour sa part que le déclin de la bicyclette dite musculaire est aussi lié à l’essor du e-bike. «Le vélo électrique rassemble de plus en plus d’adeptes qui choisissent ce mode de déplacement en lieu et place de la voiture ou des transports collectifs. Il n’est pas rare cependant que certains optent pour les deux versions, celle électrique pour assurer leur mobilité la semaine et la version traditionnelle pour pratiquer un sport.»
Mêmes observations de l’autre côté de la Versoix. «Entre la période du Covid et aujourd’hui, c’est le jour et la nuit. Nous avons subi une baisse nette des ventes. Les marques qui nous fournissaient du matériel sont devenues nos concurrentes, proposant des achats en ligne ciblés», assure Sébastien Navel, patron d’Alpi’trail à Puidoux. Qui annonce la disparition prochaine de son magasin spécialisé.
Les statistiques confirment
Les statistiques confirment la tendance baissière. Selon Velosuisse, faîtière des fournisseurs de cycles du pays, 341’142 vélos ont été vendus sur le territoire national en 2024. Soit 54'000 de moins qu’en 2023 (moins 13,6%). «C’est le retour aux anciennes habitudes. Les gens ont renoué avec la voiture et les transports en commun», relève Martin Platter, de Velosuisse. «Une saturation du marché et les printemps pluvieux des deux dernières années n’ont pas permis d’écouler les stocks qui se sont constitués après la période post-Covid», affirme encore Martin Platter.
Velomania, le géant romand du vélo tire, lui, son épingle du jeu. Comme le déclare Fabien Plotnikowa, co-Ceo des treize enseignes: «2024 a été meilleure que 2023. La baisse des prix a été profitable aux clients. Nous nous attendons à une belle année 2025.»
Un engouement qui a déjà gagné les adeptes du vélo électrique. Aujourd’hui, ce segment représente 45% des ventes. D’après les prévisions, cette tendance ne semble guère près de s’arrêter. 

 

«Les Romands sont à la traîne par rapport aux Alémaniques»

Trois questions à Patrick Rérat, directeur de l’Observatoire universitaire du vélo et des mobilités actives. 

– Comment expliquez-vous la chute des ventes de vélos en Suisse depuis la fin de la pandémie?
La vente de vélos conventionnels pour adultes a commencé à baisser vers 2010 alors que le VAE a connu un fort essor en passant de 1800 articles vendus en 2005 à 219’000 en 2022. La période Covid a modifié les tendances observées de deux manières: l’accélération des ventes de VAE et la reprise des ventes de vélos conventionnels. Par la suite, la vente des vélos conventionnels a diminué plus rapidement que celle des VAE et a retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire. 

– Quelle lecture faites-vous de cette différence entre les périodes Covid et post-Covid? 
Il y a plusieurs facteurs: restriction des activités sportives et des rassemblements, besoin d’activité dans des périodes de forte pratique du télétravail, loisirs et vacances en Suisse, souhait d’éviter les transports en commun… Avec le retour «à la normale», le marché du vélo s’est contracté et assimile la forte croissance des années de crise sanitaire. Il y a aussi le fait que le marché de l’équipement (achat) est en partie remplacé par le marché de l’entretien (service, réparation) étant donné la durée de vie d’un vélo. Par exemple, 7% des ménages en Suisse possédaient un VAE en 2015 contre 20% en 2021. Les ménages ne rachèteront pas de vélos avant quelques années. Il faut noter toutefois que malgré la baisse des ventes, la pratique du vélo poursuit sa croissance en particulier dans les zones urbaines.

– Selon Velosuisse, la Suisse est à la traîne en termes de sécurité et de soutien économique. Partagez-vous cet avis? 
La Suisse romande est à la traîne par rapport à la Suisse alémanique avec des déplacements quotidiens à vélo qui sont respectivement de 4% et 10%. La Suisse, elle, est en retard par rapport à la plupart des pays du Nord de l’Europe, en particulier les Pays-Bas et le Danemark. Elle fait toutefois mieux que les pays latins. Pour augmenter la part du vélo, des infrastructures sécurisées et attractives sont encore à construire en Suisse. Il y a de nombreuses initiatives et projets mais les choses avancent lentement. La Confédération prévoit un doublement des trajets à vélo mais ne s’en donne pas encore réellement les moyens.

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