"la Police ne doit pas être placée au-dessus des lois qu’elle est chargée de faire respecter"

Rédigé par
Adélita Genoud
Canton & Communes

Votations • Genève se prononcera sur l’initiative populaire cantonale «Oui, je protège la police qui me protège». Le texte vise à renforcer le soutien aux forces de l’ordre face à la multiplication des procédures pénales qui les visent. Rencontre avec la conseillère d’Etat, Carole-Anne Kast, chargée du Département des institutions et du numérique.

GHI: Depuis votre entrée en fonction, avez-vous le sentiment que les actions menées contre les agents ont augmenté? 
Carole-Anne Kast: De manière générale, il est indéniable que l’administration publique fait face à une judiciarisation croissante des relations avec les citoyennes et les citoyens. Par exemple, la LIPAD (loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles) est souvent détournée de son but afin de fourbir des armes dans un procès, contre l’Etat ou entre particuliers. La Police, comme d’autres services, souffre dans son action par cette tendance qui engorge le système judiciaire, ralentit les procédures et renchérit l’action publique.
Toutefois, pour garantir l’Etat de droit, il est fondamental que la Police ne soit pas placée au-dessus des lois qu’elle est chargée de faire respecter et qu’elle soit soumise aux mêmes contrôles que nos concitoyennes et concitoyens.
Plus spécifiquement, s’agissant des procédures pénales à l’encontre de collaboratrices et collaborateurs de la Police, en chiffres absolus depuis 2018, elles ont même baissé, passant de 116 à 85 sur un volume annuel de plus ou moins 220’000 appels à la centrale d’urgence (117) et 84’000 réquisitions de la police à proprement parler. L’ouverture de 70 à 80 procédures apparaît cohérent par rapport au volume d’activités. A Genève, système unique dans toute la Suisse à ce jour, toute situation qui sous-entendrait un comportement susceptible de ne pas avoir respecté le cadre légal par une ou un membre de la Police, actionne automatiquement l’IGS (inspection générale des services), unité d’enquête totalement indépendante placée sous l’autorité du Pouvoir judiciaire, soit pour lui le Ministère public

Estimez-vous que les policiers sont aujourd’hui plus que jamais confrontés à une violence accrue qui pourrait justifier qu’ils interviennent de façon plus musclée? 
Les policiers font un travail difficile et il est vrai qu’ils sont souvent, peut-être toujours plus, confrontés à de la violence. Cependant, leur action doit être en tout temps proportionnée et s’inscrire dans le cadre légal et cela ne doit en aucun cas justifier un recours excessif à la force.
En outre, nous n’avons pas mis en évidence un lien entre l’augmentation de la violence contre les agentes et agents et l’augmentation de procédures à leur encontre. Je m’en réjouis tout en déplorant cette violence exercée contre celles et ceux qui sont chargés de notre sécurité. Je souligne d’ailleurs le travail admirable fait par la Police pour ne pas tomber dans cette escalade de violence et ses efforts pour respecter la proportionnalité de son action.

Selon le rapport d’activités 2024 de l’IGS, 10 enquêtes pour corruption ont été menées en 2024 contre 2 en 2023? Ce chiffre est-il inquiétant ou vous semble-t-il marginal? 
La corruption ne peut et ne doit jamais être considérée comme marginale, que cela concerne la police ou la détention. Ce n’est pas le chiffre mais c’est ce qu’il représente, à savoir une éventuelle faille dans notre sécurité, qui nécessite une vigilance et une réaction très forte de notre part. Je rappelle néanmoins que l’ouverture d’une enquête ne veut pas encore dire que les faits soient avérés. C’est plutôt le signe que l’institution prend ce risque très au sérieux et entend traiter ces suspicions avec diligence.
 

Toujours selon ce rapport, sur les 250 enquêtes ouvertes en 2021 et 2022, ayant donné lieu à l'ouverture d'une procédure, 209 ont connu un épilogue judiciaire. La grande majorité des décisions rendues a toutefois abouti à une ordonnance de non-entrée en matière (63%) ou à une ordonnance de classement (14%). Les ordonnances pénales rendues, lesquelles comprennent également les infractions commises hors service, se sont montées à 20% et les condamnations devant les tribunaux à 3%. Que vous inspirent ces chiffres? 
Ils démontrent que le système fonctionne et permet de lever les doutes sur la conformité de l’action de la Police. On constate ainsi que grâce à la possibilité de déférer devant la justice des cas litigieux, finalement très peu de procédures pénales aboutissent à une condamnation, confirmant ainsi que le travail des forces de l’ordre est proportionné et justifié. Cet équilibre permet ainsi de renforcer la confiance de la population envers sa Police, ce que l’initiative mettrait à mal. C’est une des raisons pour lesquelles, tant la majorité du parlement que le gouvernement proposent de la rejeter. 

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