La solitude, ce nouveau mal qui gangrène notre jeunesse

Rédigé par
Tadeusz Roth
Société

Près de 70% des jeunes de 15 à 25 ans résidant dans la région lémanique souffrent de solitude. En cause: la submersion numérique et la montée de la peur liée aux événements mondiaux.

«Salut, j’ai 15 ans et je me sens seul. J’aimerais me faire des amis.» Sur les réseaux sociaux, nombreux sont les messages de personnes seules, notamment des jeunes, cherchant désespérément des contacts. Une réalité faisant écho aux chiffres alarmants de l’Office fédéral de la statistique et relayés par la Croix-Rouge genevoise. Pas moins de 69,2%  des jeunes âgés de 15 à 25 ans souffrent en effet de solitude. Ce phénomène n’épargne pas le reste de la population. En 2022, 49,9% des habitants de la région lémanique déclaraient se sentir seuls, contre 46,1% en 2017. 
L’institution à la croix rouge avance plusieurs pistes de réflexion pour expliquer cette tendance. «L’urbanisation et les nouvelles technologies, en dépit de leurs promesses de proximité et connectivité, ont paradoxalement renforcé ce sentiment de solitude. Les événements marquants, tels que la pandémie de Covid-19 ou les conflits, ont intensifié les souffrances invisibles.» 
De quoi tordre le cou à certaines idées reçues, selon lesquelles seules les personnes âgées seraient touchées. «En réalité, ce sont les jeunes qui sont le plus victimes du sentiment de solitude. Et c’est une tendance qui va en s’amplifiant», alerte Stéphanie Lambert, directrice générale de la Croix-Rouge genevoise. 
Pression
Qui observe un lien avec une pression grandissante exercée sur les parents. «La charge mentale, le manque de temps et les difficultés économiques touchent de plus en plus de parents. Autant de facteurs qui peuvent accentuer le sentiment de solitude des jeunes. Un soutien renforcé aux familles permettrait de limiter cette tendance», relève Stéphanie Lambert. Pour faire face, la Croix-Rouge a notamment mis sur pied «Chaperon Rouge», un service de garde d’enfants à domicile en urgence très sollicité. 
Sur le terrain, les conséquences de la solitude sont détaillées par les nombreux bénévoles de la Croix-Rouge et par les collaborateurs. «Anxiété, comportements agressifs, dépression. Mais l’isolement peut également affecter la santé physique, comme l’ont montré plusieurs études», précise Stéphanie Lambert. 
Pour lutter contre ce fléau, l’association souligne l’importance de mobiliser davantage de ressources en matière de prévention. Mais elle appelle également à une réflexion pour développer une approche plus globale, qui intègre par exemple les questions de parentalité. «Tout cela doit partir d’une vision intégrée de la santé, qui prenne en compte ses déterminants sociaux et investisse dans des réseaux de soutien. Pour les familles, l’enjeu, c’est avant tout de réduire la pression qui pèse sur elles et de les accompagner. Au bout du compte, cela permet aux enfants de grandir dans de meilleures conditions. Plutôt qu’un coût, c’est un vrai investissement», gage la directrice. 
Présente là où il y a un manque, la Croix-Rouge genevoise est à l’origine de nombreuses activités pour lutter contre la solitude. En tout, elle compte une quarantaine de programmes, pour plus de 40'000 bénéficiaires. Parmi eux, des activités d’intégration sociale, de soutien aux enfants et jeunes en difficulté scolaire ainsi que des aides pour les personnes qui souffrent d’isolement. 
«Ce qui nous lie»
Du côté des autorités, la lutte contre l’isolement est également un combat mené avec force. Notamment par la magistrate chargée de la Cohésion sociale et de la Solidarité, Christina Kitsos, qui rappelle avoir placé son année de mairie sous le signe de «ce qui nous lie», précisément pour lutter contre l’isolement et les différentes formes de solitude. «Collectivement, nous faisons face à de multiples crises, et notamment une crise du lien social, dont la solitude est un des aspects les plus notables. La Ville, en tant que maillon institutionnel le plus proche des habitantes et habitants, a un rôle crucial à jouer pour renforcer le ciment de notre communauté, favoriser les rencontres et stimuler les interactions», détaille l’élue. 
Concernant la jeunesse, la Municipalité multiplie les approches. Travailleurs sociaux hors murs (TSHM), maisons de quartier, événements organisés par et pour les jeunes: les autorités affirment faire leur possible pour développer les contacts entre jeunes ainsi qu’avec des professionnels. 
Du côté des seniors, la Ville étoffe son offre. Aujourd’hui, environ 500 activités sont proposées chaque année dans les quartiers et à Cité seniors. Mais ce n’est pas tout. Pour renforcer les mesures, le Département lance cette année une étude pour établir une photographie «rendant visible la réalité de l’isolement des personnes âgée» en Ville. 
Nombreux problèmes
Une approche saluée par le monde académique, dans lequel la solitude est largement étudiée, notamment à la faculté de psychologie et des sciences de l'éducation. Ici aussi, on observe une hausse du phénomène. «En dépit de quelques fluctuations, les données montrent une forme de croissance touchant l’essentiel des catégories de la population», confirme Jerôme Blondé, maître assistant en psychologie à l’Université de Genève. Une solitude responsable de nombreux problèmes: «elle a des impacts sur le fonctionnement physique, mais aussi sur la santé mentale. En plus de l’anxiété, elle peut aussi être une source de dépression. Le risque est bien réel», indique le scientifique, qui appelle à distinguer le sentiment de solitude d’une solitude «réelle», pas toujours corrélée. 
Au rang des causes explicatives, le spécialiste pointe lui aussi le contexte anxiogène ainsi que la technologie. «Les réseaux sociaux sont développés de manière à créer du lien. Mais paradoxalement, ils créent un sentiment de solitude en donnant l'impression de ne pas entretenir assez de relations par comparaison à l'image édulcorée que les autres diffusent de leur vie sociale. Les réseaux tendent à nous faire croire qu’on est en relation, mais en même temps, ces relations ont souvent un caractère artificiel. Elles ne permettent pas de satisfaire pleinement notre besoin d'appartenance.» 
Mais alors, que faire pour aider une connaissance seule? «Il faut développer des interfaces, des plateformes pour entrer en contact avec d’autres gens. Ce n’est pas toujours évident: des études ont montré que les personnes seules peuvent perdre confiance en elles, et éviter encore plus les contacts. On parle du cercle vicieux de la solitude», explique Jerôme Blondé. 
Enfin, le maître assistant rappelle que si on est seul, la meilleure chose reste de se tourner vers son environnement social direct, sa famille, son quartier, ses voisins. Mais aussi d’explorer l’offre présente dans l’espace public, permettant de créer du lien.

En savoir plus