Le Covid a accéléré l’aversion pour l’école

Rédigé par
Gil Egger
Société

TROUBLES DU COMPORTEMENT • Le confinement a eu un effet secondaire indésirable: il a augmenté le nombre des phobiques de l’école. Plongée dans le monde  des «neuro-atypiques». 

Difficile de décrire en un mot un monde aussi composite. Les professionnels évitent celui d’autisme, devenu trop réducteur. Disons que considérer ces enfants et adolescents comme des neuro-atypiques, ou neuro-divers élargit la perception qu’on peut en avoir. L’épisode Covid – et surtout le confinement – a contribué à les éloigner de l’école. Ceux qui étaient à la limite du supportable se sont tout simplement montrés incapables d’y retourner. 
Mais qui sont-ils? Des jeunes ayant des troubles variés tel que: le trouble du spectre autistique (TSA) , le trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), les différents «dys»: les dyslexiques, les dyspraxiques, les dyscalculiques et ceux soufrant d’anxiété. Leur attribuer un qualificatif de haut potentiel ne fait pas avancer leur cause, car souvent cette supposée qualité se double de handicaps, notamment sociaux, difficiles à surmonter, et surtout impossibles à vivre dans le milieu scolaire habituel. 
Que font les parents? Ce qu’ils peuvent pour passer le cap de l’école obligatoire. Ensuite? Pas grand-chose, et c’est là qu’intervient la Consultation Libellule. Basée à Lausanne, elle s’occupe d’enfants très jeunes et jusqu’à l’âge adulte, 25 ans, venant aussi des cantons de Genève et Fribourg. La directrice, Mandy Barker, nous explique que «cet accompagnement à long terme est nécessaire, le cadre que nous offrons leur permet d’avoir un monde où ils ont des activités, y compris professionnelles. A la maison, ils peuvent rester à ne rien faire, tablette en main, ou devant la télévision, sans que personne ne sache comment les en extraire.» 
L’anniversaire 
Parmi les fidèles de Libellule, Arnaud H. constitue un exemple. Ce grand jeune homme au regard clair et direct vient de lancer l’idée d’un lieu, au sein de la Consultation, pour ceux qui l’ont fréquentée, parfois quittée, et qui ont besoin de se retrouver entre personnes ayant eu le même genre de difficulté. 
Le jour de notre visite, cet endroit regroupait une dizaine d’adolescents, car c’était un anniversaire. Partage d’une forêt noire dans la bonne humeur. Certains jeunes qui ont pu réintégrer une école viennent faire leurs devoirs. Le but de la Libellule est d’accueillir ces ados qui n’ont plus la possibilité de fréquenter l’école, par phobie ou parce qu’ils en ont été exclus. Les accompagner, leur redonner confiance en eux, leur donner les bases, les rassurer et les encadrer leur permet souvent de trouver une porte de sortie. Mandy Barker maintient un contact avec toutes sortes d’entreprises, des fondations, l’Assurance Invalidité (AI).
Les structures existantes ne conviennent pas souvent, pour une question de temps. Celles et ceux qui sont neuro-atypiques ont besoin d’habitudes, de routines, ils sont parfois très lents à trouver leur place. Arnaud H. les connaît bien et nous confie: «Si une personne se trouve apte à faire une tâche simple, comme des photocopies ou un classement répétitif, pourquoi vouloir élargir son horizon? Les personnes dites normales ne comprennent pas que ce genre de poste convient très bien et que vouloir leur proposer autre chose représente un stress, parfois insupportable.» Les neuro-divergents développent souvent un talent particulier, dans lequel il est parfait de rester. Tout le monde se souvient de la mémoire fabuleuse de Dustin Hofman dans Rainman… Un exemple parmi d’autres. 
Les méthodes inadaptées 
Tant dans la sphère d’influence de l’AI que dans des institutions comme Andiamo (qui remet les personnes inadaptées dans l’ambiance du travail), la question du rythme ne convient pas. Il est difficile pour une personne neuroatypique de changer d’environnement toutes les deux semaines, c’est une source de stress trop intense. Dès lors, elles ne tiennent pas et sortent des radars. L’exemple d’une jeune fille, si mal dans sa peau qu’elle se scarifiait, est parlant. La Consultation Libellule lui a trouvé un stage, elle a pu s’y stabiliser, faire son apprentissage, puis elle a été engagée. Une victoire. D’autres parcours sont encore plus parlants, montrant qu’avec le bon accompagnement le résultat peut être incroyable. Après un crash au gymnase, Bastien* fait un passage en hôpital psychiatrique. Il vient ensuite à la Consultation Libellule, qui le suit et le remet en milieu scolaire. Il suit l’Ecole de commerce, à son rythme. Il effectue un stage obligatoire en entreprise à la Consultation Libellule, un environnement qu’il connaissait. Ensuite il a pu profiter d’une passerelle pour rejoindre l’université, en faculté de droit. Son but: devenir juge au Tribunal fédéral. n

* prénom fictif pour préserver son anonymat.  

Arnaud a trouvé sa place 

L’exemple d’Arnaud H. montre que toutes les voies sont bonnes, pour autant qu’on les explore. Il a connu l’échec scolaire. Vinrent l’anxiété, la déprime. En consultant la Libellule, un an durant, il a trouvé sa voie, tout simplement un stage sur place. Cela a été sa période de remise à l’effort, car il avait passé un an à ne rien faire. Il s’est occupé de la réception, puis peu à peu s’est formé pour devenir assistant socio-éducatif. Il est en train d’achever son CFC, après avoir pu faire un stage à Plein-Soleil. Grâce à la souplesse de l’organisation de la Consultation Libellule, il a une voie toute tracée. Auparavant, il était passé par le CHUV, mais la division psychiatrique a des programmes très protocolaires trop difficiles pour ce genre de personnes. La Libellule a adapté le sien, permettant d’intégrer un jeune qui, sans cela, aurait simplement été désœuvré. La solidarité fonctionne également entre celles et ceux qui ont fréquenté la consultation Libellule. Ils ont des groupes WhatsApp et les téléphones sont toujours ouverts. Exemple: les idées de suicide peuvent survenir pour ce qui pourrait être vu comme des broutilles. Une heure d’arrêt, par exemple. En appelant Libellule, la discussion permet de désamorcer le drame, car la relation avec la maman, qui avait appris la punition, était source d’un gros énervement. L’unité d’accueil de jour, idée d’Arnaud, permet aussi de se rencontrer sur place et de tisser des liens. Le groupe tire tout le monde vers le haut.

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