
Motivation écologique ou réduction du pouvoir d’achat, la seconde main séduit de nouveaux consommateurs au point que les vêtements d’occasion ne garnissent plus seulement les étalages des échoppes caritatives, mais sont aussi au cœur d’un véritable business. Ce phénomène engendre-t-il des effets pervers?
Etudiante en droit à l’Université de Genève, pourquoi Helena ne jure-t-elle que par la seconde main, s’agissant de sa garde-robe? «Pour deux raisons, la première est bassement financière. J’exerce une petite activité professionnelle à côté de la préparation de mon bachelor. Je ne peux pas consacrer des sommes folles pour l’achat de vêtements. La seconde raison? Participer à la lutte contre la surconsommation», affirme la jeune femme. Son amie, Olivia, qui l’accompagne ce jour-là dans le magasin d’accessoires et d’habits d’occasion de Plainpalais, évoque un autre motif: «J’adhère évidemment à la nécessité de favoriser l’économie durable mais j’avoue que les achats d’occasion offrent un vaste champ de possibles. Il m’arrive de dénicher de véritables petites pépites, qu’il s’agisse de bijoux fantaisie, de sacs à main ou de tenues vestimentaires», enchaîne-t-elle.
L’effet confinement
Les deux pré-trentenaires s’inscrivent, comme le relève Teresa Fini, fondatrice de Purple and Gold Rain, dans cette formidable prise de conscience écologique révélée durant la période de confinement liée au Covid. Lauréate 2023 du prix de la jeune pousse, lors des Prix du commerce de l'économie genevoise 2023, elle a ouvert une boutique vintage en ligne et physique située en Vieille-Ville. En 2012 déjà, alors étudiante en management, elle vendait ses vêtements sur les réseaux sociaux. «Je compte aujourd’hui 7000 abonnés sur Instagram, 1000 sur Tik-Tok et autant sur Facebook. Nous sommes spécialisés dans le vintage, autrement dit dans la mode des années 1980 à 2000. Dates qui marquent un véritable tournant en termes de qualité de fabrication. C’est d’ailleurs ce critère qui explique pour partie notre succès», souligne-t-elle.
La seconde main, indépendamment de la gamme a bel et bien le vent en poupe, singulièrement chez les personnes âgées de 28 à 40 ans. L’association Bubble Ethic (soutien des artisans locaux et des créateurs éthiques) organisait les 23 et 24 novembre derniers, en partenariat avec la Ville de Genève, la première édition du salon Garderobes. L’événement grand public, dédié à la mode durable, réunissait des créateurs et créatrices de la région, des experts, des marques genevoises et des personnes engagées en faveur de nouveaux modes de consommation. Les visiteurs avaient aussi l’opportunité de donner une seconde vie à leurs habits déposés au point de collecte.
L’appli locale qui monte
En créant Cyclem, l’application qui permet aux particuliers d’acheter ou de vendre des vêtements de seconde main sans nécessité d’abonnement et sans prélèvement de commission, Yassin, son fondateur s’attendait-il à un tel succès ? Créée il y a un an, la plateforme n’en finit pas de gagner du terrain. En tout état de cause, affirme-t-il: Durant le seul mois de novembre, elle a été téléchargée 10’000 fois sur l’Apple Store. Les utilisateurs sont principalement des Suisses romands, âgés entre 18 et 35 ans. Cette jeune génération particulièrement sensible à la durabilité y voit là une manière de réduire son empreinte carbone liée à la production de textiles neufs.» Mais ce n’est pas tout, le créateur de Cyclem relève encore que la cherté de la vie explique elle aussi cet élan vers une consommation plus accessible: «L’application permet d’accéder à des marques à prix réduits et de revendre ses propres articles pour arrondir ses fins de mois. Cela instaure un cercle vertueux d’économie.»
Institutions privées
Si le commerce de l’occasion flambe, il cartonne aussi du côté des services privés d'aide sociale. Marc Bieler, responsable du secteur économie circulaire de la marque Renfile – émanation du Centre social protestant (CSP) – affirme que la croissance est régulière. «Le chiffre d’affaires résultant de la vente de vêtements – soit 30% des revenus totaux – est passé en six ans de 3,5 à 4,5 . Ce montant se répartit entre deux brocantes (Plan-les-Ouates et Meyrin) et cinq échoppes disséminées dans le canton.»
Inaugurée en 2021, Renfile Tourbillon dispose de 2250 m² de surface de vente et 1200 m² d’ateliers. En plus des vêtements et accessoires, ses étalages comptent aussi du mobilier, des livres, de la vaisselle, du matériel électronique et électroménager. Si la clientèle était à l’origine majoritairement en situation précaire, au fil des ans, elle s’est élargie avec l’arrivée de consommateurs mus par la volonté de protéger la planète. Il faut savoir qu’à Genève, ce sont 40 tonnes de vêtements qui, chaque semaine, atterrissent dans les Boîtes à fringues du canton. Et qui sont distribuées aux associations d’aide sociale.
L’engouement économique pour la seconde main génère-t-il de la concurrence pour les institutions dont la mission est de financer des prestations sociales? «Certes, certains négociants achètent des lots à l’étranger et les revendent via Internet ou s’approvisionnent auprès de nos services pour les remettre sur le marché. Mais cela ne péjore pas notre
activité», assure Marc Bieler.
Un centre cantonal
Le représentant du CSP s’est attelé à une nouvelle tâche. Avec d’autres acteurs comme Caritas (GE) et Démarche (VD). Il participe au programme de recherche franco-suisse Star 3 pour la revalorisation et le recyclage des textiles soutenu par l’Union européenne, la Confédération et les collectivités locales. Objectif? Favoriser l’implantation d’une économie circulaire transfrontalière en développant de nouvelles filières de tri, réparation et recyclage. «Ce travail induit une analyse de la composition des textiles. Ce que nous faisons au moyen de spectromètres. L’idée est de créer, au terme de cette étude qui va durer deux ans et demi, un véritable centre cantonal de recyclage», confie-t-il.