Les seniors sont une manne pour l’économie!

Rédigé par
Adélita Genoud
Société

Le vieillissement de la population ne se réduit pas à la part qu’il induit sur les coûts de la santé. Les secteurs de l’immobilier, des nouvelles technologies et du bien-être devraient en tirer profit. Au point que le «marché des aînés» devrait supplanter celui des jeunes.

Certes, en évoquant l’éventualité de majorer les primes maladie des seniors pour abaisser celles des autres, le conseiller national PLR valaisan, Philippe Nantermod a suscité un véritable tollé. Il n’empêche, les coups de boutoir ne manquent pas. Victime de maints préjugés liés à une prétendue baisse de leur rendement ou à une absence de flexibilité dans les entreprises, la génération née dans les années 1960 essuie les plâtres d’une situation nouvelle qui va dynamiter la pyramide des âges dans les vingt ans à venir.
Et pourtant, les boomers constituent une aubaine pour l’économie. A telle enseigne que la sociologie parle aujourd’hui de «silver économie». Un concept inspiré du Japon qui compte le plus fort pourcentage de personnes de plus de 65 ans. Le marché des seniors imprègne de nombreux secteurs: de la santé au logement, en passant par la téléphonie. Les pouvoirs publics se mobilisent tant pour favoriser l’employabilité que l’autonomie des aînés. Rencontre avec Philippe Wanner, professeur à l’Institut de démographie et socioéconomie de l’Université de Genève (UNIGE).

GHI: De quelle population parle-t-on? Quel est son profil? 
Philippe Wanner: Elle englobe déjà des personnes proches de la retraite et celles qui viennent de quitter le marché de l’emploi. Son espérance de vie s’est allongée et elle demeure longtemps encore en bonne santé. Il y a trente ans, une fois franchi le cap de l’AVS, elle se retirait véritablement de toute vie sociale. Ce n’est plus le cas, elle est au contraire active, travaille parfois au-delà de l’âge légal de départ à la retraite, elle s’implique dans le bénévolat, voyage, s’occupe de ses petits-enfants et parfois même de ses parents. Pour une part – celle qui a tiré parti de la forte croissance économique prévalant jusqu’au milieu des années 1970 – elle a pu capitaliser. Elle est aujourd’hui consommatrice de biens. 

Quels sont les secteurs qui peuvent potentiellement en bénéficier? 
L’architecture et l’immobilier, le paramédical, les loisirs, ainsi que les nouvelles technologies.

Si l’on entre dans le détail? 
Concernant le logement. Il y a tout un pan à investir. Les constructions actuelles ne sont pas forcément adaptées à des personnes dont la mobilité va progressivement devenir plus complexe. Si l’on se réfère au Japon, on relève que la domotique (système de gestion automatisée appliqué à l’habitation) est à la pointe. Diverses technologies permettent plus de confort, de sécurité et une communication facilitée. Pour ne citer que trois exemples concrets: les toilettes sont équipées de jets , les plaques des cuisinières s’éteignent automatiquement et les montres connectées offrent une réelle sécurité sanitaire.

Vous évoquiez le paramédical, un segment porteur chez les aînés? 
Oui. Les boomers accordent un soin tout particulier à leur santé. Si certains n’ont peut-être pas réglé leur addiction au tabac ou demeurent de grands consommateurs de viande, d’autres sont très tournés vers les médecines alternatives. Ils vont donc chercher auprès de ces dernières, le moyen de rester le plus longtemps possible en forme. Il y a ici un formidable potentiel qui pourrait connaître un nouvel essor.

Concernant les loisirs? 
Les retraités consacrent près d’un quart de leur budget aux loisirs. Ils sont amateurs de croisières et de déplacements en Suisse. Ils privilégient souvent le bien-être et la détente. Ils optent ainsi pour des séjours montagnards ou campagnards. Les agences de voyages n’ignorent pas que leur survie est interdépendante de cette classe d’âge.

Comment expliquez-vous le manque de réactivité de la part de l’économie privée? 
Il est exact qu’une profonde réflexion fait défaut dans le secteur privé. Le marché des seniors en tant que potentiel de croissance n’est pas encore tout à fait au goût du jour. Même si certaines professions ont parfaitement intégré la nécessité de répondre à la demande de cette partie croissante de la population. Je pense aux opticiens qui ont adapté et diversifié leurs offres dans ce domaine, en proposant par exemple des tarifs dégressifs selon l’âge de la clientèle. Mais le manque d’anticipation globale résulte de plusieurs facteurs. Tout d’abord, il faut savoir que le vieillissement de la population est par définition lent. La prise de conscience a débuté en 1925, lorsque le peuple suisse a voté en faveur de la création d’une assurance vieillesse et survivants (AVS). Tandis que les premières rentes ont été versées à partir de 1948. Et puis, il faut savoir que tout ce qui a trait aux aînés a été délégué aux services sociaux. Cependant, l’économie va sans doute se focaliser sur cette cible, ce d’autant que la demande émanant des jeunes va se tarir.

«C’est une évidence de les considérer comme un segment important du marché» 
 

Comment la Fédération des entreprises romandes (FER) Genève se positionne-t-elle? Trois questions à Véronique Kämpfen directrice de la communication.

L’économie a-t-elle pris la mesure du marché que représentent les boomers? 
De nombreux secteurs d’activité l’ont fait depuis longtemps, comme par exemple les cosmétiques avec des produits conçus en fonction des différentes tranches d’âge ou les activités de loisirs qui ont des segments dédiés aux personnes à la retraite ou s’en approchant. Ce qui est aussi intéressant, c’est la mise en avant de seniors dans des campagnes de publicité mais aussi à l’écran, ce qui participe à rendre cette catégorie de personnes plus visibles et à déconstruire certains préjugés liés à l’âge. Les techniques de marketing ciblent les consommateurs selon différents critères, dont l’âge, qui est un paramètre parmi d’autres. Il en va de même de la création de produits ou de prestations. L’intérêt que l’économie porte à la génération des jeunes retraités relève de leur dynamisme – ils ont envie de profiter de cette nouvelle tranche de vie – et de leurs moyens financiers, globalement plus élevés que ceux des autres tranches d’âge.

Pouvez-vous rappeler les impulsions et actions lancées par la FER favorisant le travail des seniors, y compris ceux qui souhaitent prolonger leur activité professionnelle au-delà de l’âge légal de l’AVS?
La FER Genève participe au Conseil consultatif de l’employabilité qui a récemment été mis en place par l’Etat de Genève et qui traite, notamment, de l’emploi des seniors. Nous avons également mis sur pied en fin d’année le premier forum de l’employabilité qui mettait en avant plusieurs typologies de travailleurs, dont les plus de 55 ans, voire plus de 65 ans. Nous soutenons de nombreuses associations ou fondations actives sur cette thématique. En tant qu’employeur, nous considérons avec bienveillance tous les dossiers que nous recevons, quel que soit l’âge des candidats. S’agissant du marché du travail, il est réjouissant de constater qu’en Suisse, les plus de 50 ans sont moins au chômage que d’autres tranches d’âge (de 2,6% contre 3,1% pour les 25 à 49 ans et 2,7% pour les 15 à 24 ans). En revanche, s’ils quittent ou perdent leur emploi, ils seront plus longtemps au chômage que les plus jeunes. C’est la raison pour laquelle, à Genève, l’Office cantonal de l’emploi a adopté des mesures spécifiques pour mieux réinsérer ces personnes qui ont aussi droit à des indemnités sur une durée plus longue.

Les entreprises sont-elles prêtes à explorer le marché des seniors?
Selon leurs produits et prestations, elles s’y sont déjà mises. C’est une évidence de les considérer comme un segment important du marché. 

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