
Nous avons les télescopes, sur terre et dans l’espace, qui ont ouvert d’incroyables fenêtres sur les galaxies. Nous avons les collisionneurs de particules, tel celui du CERN, explorateurs de la matière. Toutes ces observations nous ont fait découvrir seulement 5% de l’univers. La suite? Les ondes gravitationnelles.
Les mystères s’appellent la matière sombre, l’énergie noire. Nous n’en connaissons vraiment pas grand-chose. Et puis, les thèses d’Einstein avaient décrit les ondes gravitationnelles. Tout comme Higgs avait théorisé l’existence de «son» boson, avant que des investissements colossaux ne soient consentis pour le révéler. Ce fut grâce au LHC, le grand collisionneur de hadrons, cet anneau de 30 km sous terre utilisé par le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire).
Des ondes discrètes
Les ondes gravitationnelles sont des perturbations de l’espace-temps, incluses dans la théorie de la relativité générale d’Einstein en 1915. Qu’est-ce qui les produit? Des événements cosmiques que nous avons peine à imaginer, comme la fusion de trous noirs, l’explosion de supernovae ou la collision d’étoiles à neutrons. Ces monstrueuses émissions d’énergie déforment légèrement l’espace-temps. A l’image d’un objet qui tombe dans un lac, créant une vague. Sauf que les ondes gravitationnelles ont vraiment un effet minuscule à notre échelle. Lorsque l’une d’elles traverse la Terre, elle peut modifier la distance entre deux points de moins que le millième du diamètre d’un noyau d’atome. Pourtant, deux observatoires, le LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory) aux Etats-Unis en 2015, et VIRGO en Italie en 2017, ont pour la première fois pu en détecteur une. Une première, qui a titillé la curiosité des scientifiques du monde entier.
Il ne sera pas dit que l’humanité va rester sans savoir ce que ces ondes nous réservent. Un projet audacieux est en cours en Europe, qui implique toutes sortes d’instances suisses comme le CERN, l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et de nombreuses entreprises. Le CERN a signé plusieurs accords portant sur l’ingénierie, la sécurité, le vide et les matériaux. Lors d’une récente exposition à Palexpo, Einstein Telescope affichait ses ambitions.
Un télescope sous terre
Première information contre-intuitive: le Télescope Einstein va être construit à 300 m sous terre. Ce ne sera pas un cercle comme au CERN, mais un triangle. Par rapport à ceux qui existent, LIGO et VIRGO, comportant deux côtés de 4 km et 3 km, Einstein Telescope en aura trois de 10 km. Les détecteurs font appel à des lasers. Le premier emplacement prévu est à cheval entre la Belgique, l’Allemagne et Pays-Bas, très stable géologiquement.
En Suisse, de nombreux chercheurs sont impliqués, au CERN, à l’EPFL. Le prof. Jean-Paul Kneib, du laboratoire d’astrophysique de l’EPFL, attend cette réalisation avec un certain espoir. Il relève que «la localisation n’est pas encore définie, ce pourrait être le lieu central en Europe, mais aussi dans l’est de l’Allemagne ou en Sardaigne». Il constate beaucoup d’incertitudes, sera-ce un triangle ou deux L? Les décisions finales ne sont pas prises, il reste encore le lourd financement à compléter. Ces derniers jours, l’Allemagne a décidé que ce projet figurerait parmi les priorités car il a «le plus haut potentiel scientifique et un fort potentiel d’innovation».
Avec le calibre de ce télescope, on pourra mesurer des dizaines d’ondes gravitationnelles chaque jour, contre une ou deux par semaine actuellement, permettant une interprétation plus précise des événements survenus proches du big bang. Les scientifiques de son laboratoire attendent aussi des progrès dans l’informatique. Leur tâche consiste à modéliser un maximum de galaxies en 3D, ce qui demande des puissances de calcul gigantesques.
D’autres projets sont en cours, un programme chinois avec des détecteurs installés dans l’espace et un européen, baptisé LISA. L’univers a encore énormément à nous apprendre, les compétences pour réaliser Einstein Telescope vont également faire progresser toutes sortes de domaines. Pour les entreprises, et la Suisse en compte beaucoup de pointe, il y a ce qu’on appelle le coefficient multiplicateur d’investissement: 1 euro investi rapporte 3,5 à 4 euros.