Pourtant risquées, les pseudo-sciences cartonnent

Rédigé par
Tadeusz Roth
Société

Guérir du cancer, soigner différentes douleurs, réaligner nos énergies, méditer en «pleine conscience», couper le feu, faire disparaître des verrues. En 2025, les innombrables promesses des «guérisseurs» 2.0 se multiplient, via des messages glissés dans nos boîtes aux lettres et les publications des influenceurs énergéticiens qui inondent les réseaux sociaux. Les HUG reconnaissent faire appel à des rebouteux. 

De quoi provoquer de nombreuses mises en garde, qu’elles soient politiques, sanitaires ou médiatiques. A Genève, le Département de la santé (DSM) est catégorique: «Ce qui est inédit, ces dernières années, c'est l'ampleur de leur circulation, qui s’est beaucoup intensifiée avec l’essor des technologies de la communication et les réseaux sociaux», constate Cédric Alber, directeur de la communication au DSM. Avec des dangers bien réels: «Au-delà des risques intrinsèques, elles pourraient dissuader les personnes qui y ont recours de suivre des soins basés sur des preuves scientifiques».
Dès lors, les autorités proposent à  la population différents outils. L’Office cantonal de la Santé s’appuie notamment sur le Plan  cantonal de prévention et de  promotion de la santé, qui inclut  des actions pour développer  les connaissances de base en matière sanitaire de la population et  la sensibiliser aux conséquences de la désinformation.
Mais ce n’est pas tout. Le DSM exerce également son rôle de surveillance des pratiques sanitaires. Objectif? «Protéger la population tant des mauvaises pratiques dans l’exercice d’une profession de la santé au sens de la loi, que dans la pratique des professions non reconnues comme telles.»
Effets indésirables
En Suisse, les risques de dérives sont également pointés depuis une décennie. Ainsi Le Temps, rappelait il y a quelques années l’exemple de Christian Tal Schaller, défenseur de la «rirothérapie» et de l’urinothérapie, à l’origine de vidéos sur de prétendues vertus de l’urine… contre le sida.
Un phénomène qui inquiète les spécialistes de la question. A l’image de Florian Cova, professeur assistant au Département de philosophie de l’Université de Genève. En quoi ces approches controversées se distinguent-elles de la science? «Pour qu’une théorie soit scientifique, il faut qu’elle soit testée et mise à l’épreuve selon une méthodologie spécifique. Parmi les règles à respecter: suivre des procédures qui permettent d’écarter les différents biais et erreurs qui limitent l’observation ordinaire et ne pas faire de la science tout seul, c’est-à-dire confronter ses résultats à l’avis des autres personnes compétentes. Ce sont ces procédures qui donnent aux résultats scientifiques leur objectivité. Mais pour cela, il faut déjà que les théories soient assez précises pour être testables. Dans le cas des pseudos-sciences, ce n’est pas toujours le cas, à cause de concepts trop vagues, comme par exemple les «énergies ». De plus, les résultats ne sont pas confrontés aux avis d’autres spécialistes. Ces signes doivent nous alerter», prévient le professeur. Qui pointe plusieurs dangers aux médecines parallèles. Parmi eux, celui de détourner des patients de traitements efficaces. «On parle de perte de chance, par exemple si un cancer est détecté trop tard. Pour certaines maladies, cela peut se révéler fatal», déplore l’universitaire. Un avis partagé par une trentaine d’associations scientifiques dans le monde, à l’origine d’une tribune contre les pseudosciences en santé. Parmi les exemples cités, celui d’un enfant de 7 ans en Italie, auquel son médecin a administré de l’homéopathie à la place d’antibiotiques, et qui est décédé. Autre cas: celui d’un espagnol de 21 ans, traité avec des vitamines contre son cancer, mort lui aussi.
Dégats parfois irréversibles
Autre problème: le risque de mauvaise manipulation, par exemple chez un masseur énergéticien ou des professionnels soignant avec des huiles essentielles. «Les dégâts peuvent parfois être irréversibles», considère Florian Cova.
Et puis, il assure que ces approches alternatives présentent également un risque d’emprise et d’arnaque. «Le médecin n’a aucun intérêt à pousser à la consommation. Ce n’est pas le cas dans les pseudo-sciences, où les dérapages éthiques sont réguliers, liés au manque de cadre.»  
Florian Cova appelle donc à une meilleure formation des médecins sur ces questions. Il exhorte également les professionnels de la santé à mieux informer leurs patients, lorsqu’ils les renvoient vers ces médecines dites douces. Du côté des institutions, le scientifique recommande de rester vigilant pour traquer les abus et ne pas laisser des pratiques non prouvées s’installer.
Malgré tout, Florian Cova relève que lorsqu’elles sont utilisées en complément et de manière non invasive, ces méthodes ne font pas nécessairement de mal aux patients. «Leur usage peut donner le sentiment de reprendre le contrôle de sa santé et parfois induire un effet placebo.»
 

«Il faut pouvoir étudier ce qui aide les patients!» 

 Le professeur Pierre-Yves Rodondi, directeur de l’Institut de médecine de famille de Fribourg est un défenseur des médecines complémentaires. Pour lui, il faut laisser une chance aux thérapies non conventionnelles, pour autant qu’elles répondent à une méthodologie scientifique. «Il faut traiter ces différentes méthodes, par exemple en ce qui concerne l’acupuncture ou l’hypnose, comme on traite les autres sciences et ne pas tout jeter à la poubelle. De nombreuses données confirment d’ailleurs l’efficacité de traitements dits complémentaires», relate le spécialiste. Qui rappelle que 67% des citoyens ont voté en faveur des médecines complémentaires en 2009. 
Le praticien plaide lui aussi pour d’une meilleure information à l’égard de la population et des médecins. «Souvent, quand on est dans l’ignorance, soit on rejette tout, soit on accepte tout. Je suis pour une posture plus nuancée, où l’on permet à ces nouveaux domaines d’émerger, mais avec un cadre strict. Il faut pouvoir étudier ce qui peut aider les patients!»
D’après Pierre-Yves Rodondi, un tel cadre permettrait également de prévenir les dérives ou les abus, qui ne sont d’ailleurs pas l’apanage des seules médecines alternatives. «Ce n’est pas compliqué à réaliser, mais il faut une volonté politique. Si on régulait, les écarts se produiraient moins.»
 

Les conseils pratiques du  Département de la santé et des mobilités

Au niveau individuel, la meilleure manière de se renseigner, surtout quand on a un doute, c’est d’en parler d’abord à son médecin de famille. De plus, des ressources importantes existent sur Internet, notamment la plateforme «Planète santé», ainsi que les sites et les événements publics de la Faculté de médecine de l’Université de Genève, des Hôpitaux universitaires de Genève, des associations de défense des droits des patients ou de sensibilisation à certains enjeux spécifiques (par exemple, cancers, démences, addictions), dont notamment https://carrefouraddictions.ch/, www.ciao.ch, https://www.monenfantestmalade.ch ou pour la santé mentale santé psy https://santepsy.ch/. Pour les personnes qui ne parlent pas français, le site migesplus.ch propose également des informations en plusieurs langues sur divers thèmes de santé.

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