Le verdict du Tribunal est tombé comme un couperet: Saint-Pie X ne pourra pas défiler dans les rues genevoises. Une décision prise par le Tribunal fédéral. En cause, le refus de la fraternité de signer la charte qui encadre les organisations religieuses. Entretien avec l’abbé Jean de Loÿe, du Prieuré Saint-François-de-Sales.
GHI: Quel est votre sentiment après l’annonce de l’interdiction de la procession de la Fraternité Saint-Pie X? Pourquoi parler de deux poids, deux mesures?
Abbé Jean de Loÿe: Je suis consterné par la décision du Tribunal fédéral. Celui-ci valide un traitement particulier défavorable par rapport aux autres manifestations. Il se contente d’arguments fragiles et discutables comme «la conception genevoise des rapports entre l’Eglise et l’Etat» sans plus de précisions et une «interprétation pas soutenable» sur le problème de la base légale. Je prends toutefois acte de cette décision et ne ferai pas recours à la Cour européenne des droits de l’homme. Nous organiserons la Fête-Dieu dans les limites étroites du parvis de l’oratoire Saint-Joseph à Carouge.
Le Tribunal explique sa décision par votre refus de signer la charte qui concerne les organisations religieuses. Pourquoi cela?
L’Oratoire Saint-Joseph n’accepte pas d’être enregistré à Genève autrement que comme catholique romain. Sa situation particulière relève en effet d’une problématique interne à l’Eglise catholique romaine. Quoi qu’il en soit, je suis étonné que le Tribunal fédéral n’aborde jamais la difficulté que pose la déclaration d’engagement. Elle est formulée d’une manière telle que la liberté de faire état des positions de l’Eglise catholique sur des sujets comme l’avortement ou les actes homosexuels paraît compromise. Faudra-t-il censurer la Bible? Par ailleurs, l’affirmation de la primauté de l’ordre juridique suisse, sans précision ni nuance, évacue par principe la possibilité d’une désobéissance civile motivée religieusement laquelle fut pourtant en d’autres temps l’unique rempart aux barbaries de toutes sortes.
Plus largement, que cela montre-t-il du rapport de nos autorités avec l’Eglise en 2024?
En 2022, le Canton de Genève a refusé toutes les manifestations religieuses: les processions de la Fête-Dieu de la paroisse Sainte-Claire, celle de l’Oratoire Saint-Joseph et les baptêmes dans le lac de l’église évangélique de Cologny. C’est une interdiction de principe. Le service juridique du Département de la sécurité a révélé ses motivations dans sa justification auprès de la Cour de Justice cantonale: la procession est indignement qualifiée de «démonstration agressive», «violence symbolique» et «psychologique» à l’égard des «athées, de la communauté LGBT, …». Le département a parlé également de la «nécessité d’un contrôle sérieux sur les valeurs défendues par les organisations religieuses». C’est une charge antireligieuse. La religion est a priori suspecte alors qu’on parle d’un cortège de familles avec des enfants qui chantent dans une atmosphère paisible et digne. En trente ans, il n’y a pas eu le moindre incident. Pas de décibels excessifs, pas de saleté, pas de gêne pour les commerces ni pour la circulation. La différence de traitement entre d’autres manifestations et nous est injuste.