A la rue de Carouge, 
les enseignes étouffent en raison d'un chantier qui s'éternise

Rédigé par
Tadeusz Roth
Genève

Difficultés d’accès, bruit, poussière…  l’immense chantier de l’artère, reliant Plainpalais  à Carouge, excède commerçants et entrepreneurs. Pour faire face à des baisses de chiffres d’affaires, ils proposent de nouvelles actions. Les projets d’indemnisation sont toujours à l’étude.

Scène de chaos sur la rue de Carouge, un lundi en pleine pause de midi. En plus des fortes chaleurs, les engins de chantiers s’activent dans un fracas incessant, sans respecter ceux qui tentent de se frayer un chemin pour trouver un restaurant ou de quoi manger. A deux pas de la plaine de Plainpalais, la terrasse du Holy Cow est désormais constamment vide, d’autant que certaines machines restent obstinément en marche, même lorsqu’elles sont laissées de côté pendant une demi-heure. «Ça ne s’arrête jamais, c’est infernal, confirme une restauratrice. Et puis avec toute cette poussière, nos clients préfèrent de plus en plus aller ailleurs.» Un sentiment partagé par une vendeuse: «On se croirait sur un champ de bataille. Comment est-il possible de laisser faire à ce point? Sommes-nous dans une dictature des chantiers et des ouvriers? C’est un profond manque de respect pour notre activité», estime-t-elle.
Il est vrai que la rue de Carouge a été intégralement éventrée: laissant place à d’immenses trous, des barrières, des passerelles, et des passages, parfois trop étroits pour se croiser. La piste cyclable a disparu, alors de nombreux usagers de la petite reine tardent à mettre le pied à terre, faisant sursauter les mères de famille et les seniors, déjà apeurés par le vacarme ambiant. «Ça doit durer jusqu’en décembre, s’il n’y a pas encore des retards. Je crains que mon commerce soit en faillite d’ici là», témoigne un vendeur. 
Groupe WhatsApp
Pour fédérer les commerçants, un groupe WhatsApp, d’environ 70 personnes, a été créé. Administré par Yann Arzuffi, à la tête de la Caves des Poètes, il permet de témoigner, de formuler des doléances et de faire des propositions. «Nous sommes nombreux à redouter la suite. Certains ont déjà été obligés de fermer. D’autres tremblent de devoir le faire», dénonce l’entrepreneur.
De manière générale, les commerçants déplorent l’indifférence avec laquelle ils sont traités par la Ville. «Pourquoi ne pas nous aider?», s’interrogent nombre d’entre eux. 
Plusieurs propositions ont d’ores et déjà été formulées sur le groupe. En plus d’aides financières, certains suggèrent des RHT (réduction de l’horaire de travail) ou des baisses de loyer. Autre idée? Mettre en place un événement solidaire, par exemple avec une distribution de bons. «Nous sommes dans un quartier de petits commerçants, avec beaucoup d’indépendants. Nous avons en général peu de trésorerie et encore moins de temps pour faire entendre nos revendications», précise Yann Arzuffi.
Indemnisations
Côté politique, les élus municipaux s’activent également. A l’image des Vert’libéraux et du Centre, à l’origine d’une proposition, déposée en février (avant le début des travaux) pour créer un Fonds d’indemnisation de la Ville de Genève «dédié au soutien des activités économiques, situées de plain-pied et impactées par des travaux publics». Le texte devrait sortir de commission à la rentrée. 
«La situation est désastreuse, certaines enseignes de la rue vont très bientôt mettre la clef sous le paillasson. Certes, ces travaux embelliront la rue et le quartier, ce sera magnifique et il y fera bon vivre. Mais seuls ceux qui arriveront à traverser cette période de chaos pourront en profiter après», prévient ainsi Yves Herren, président des Vert’libéraux en Ville de Genève.
Les élus appellent également à une réaction forte de la Ville. «Il serait idéal que le Conseil administratif propose une indemnisation de son propre chef, sans attendre la fin du traitement du projet de délibération en cours. Il possède les compétences pour agir plus vite que le texte», rappelle Yves Herren.
Mesures de sauvegarde
Un avis partagé par les milieux économiques, à l’instar de la Fédération des entreprises romandes (lire encadré) ou de l’association Genève Commerces. Contactées par plusieurs commerçants de la rue de Carouge depuis le début des travaux, elles soutiennent, toutes les deux, les mesures d’aides et d’indemnisation. 
«Si rien ne change, plusieurs entreprises risquent de devoir cesser leur activité. Il faut interpeller le Conseil administratif et que celui-ci prenne urgemment des mesures. Le temps politique, surtout sur le plan législatif, est souvent trop long. Tout ce qui va dans le sens de mesures de sauvegarde doit être adopté. C’est la seule manière d’aider ces commerçants qui subissent un véritable dommage», estime Flore Teysseire secrétaire générale pour Genève Commerces. 
Alors que des projets d’indemnisation et de coordination existent tant au niveau du Grand Conseil que du Conseil municipal, l’association attend toujours d’être auditionnée par le Canton et par la Ville. «Pour le Conseil municipal, l’urgence a été refusée en février. Nous avons demandé notre audition en mai mais ne devrions l’être qu’à partir du mois prochain», rappelle la secrétaire générale. 
Plus largement, l’association appelle à une véritable réflexion sur ces travaux en Ville de Genève: «Quand bien même ces travaux sont importants, il faut trouver des solutions pour prévenir ce genre de situation. Nous avions déjà été confrontés à des problèmes identiques avec le chantier sur le boulevard du Pont-d’Arve.»

«Réduire la durée des travaux»

De leur côté, la Fédération des entreprises romandes (FER) à Genève et les associations professionnelles concernées défendent une limitation des nuisances avec «une meilleure coordination des travaux, des itinéraires alternatifs, des feux mieux régulés» ou encore «une limitation de la durée des travaux grâce à l’extension des horaires de chantiers (6h-23h)».  
La FER s’est fait l’écho de ces revendications lors d’une conférence de presse et via deux communiqués (21 mai et 18 juin). Elle s’est aussi entretenue avec les autorités. «Des efforts qui portent leurs fruits, le Canton a en effet commencé à appliquer ces mesures et à mieux communiquer sur les chantiers. L’indemnisation des commerçants doit être mise en place rapidement. Un projet de loi est en traitement au Grand Conseil (PL 13601). Il semblerait que le Département de la mobilité travaille également à l’élaboration d’un système d’indemnisation adapté», relève Véronique Kämpfen, directrice de la communication. 

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